Eprouver les esprits ? DES LIVRES POUR EXPLIQUER SON ORAISON ! L'ESPRIT DE MENSONGE !? LE SECRET ? CE QUI SE PASSAIT EN MOI VENAIT DU DéMON !!!

 

Je lus des livres dans l'espoir qu'ils m'aideraient à m'expliquer sur mon oraison; dans un traité, qui a pour titre le Chemin de la Montagne [8], je trouvai, à l'endroit où il est parlé de l'union de l'âme avec Dieu, toutes les marques de ce que j'éprouvais.

Dans cet état, disait l'auteur, l'âme ne peut penser à rien; et c'est précisément ce que je disais de moi.

Je marquai de plusieurs traits les endroits, et je remis le livre à ce gentilhomme; ce saint ecclésiastique, grand serviteur de Dieu, dont j'ai parlé, et lui, devaient l'examiner et me dire ensuite ce que j'avais à faire. J'étais prête, s'ils le jugeaient à propos, à abandonner entièrement l'oraison.

Pourquoi, en effet, me jeter dans ces sortes de dangers?

Il y avait près de vingt ans que je m'occupais de l'oraison, et loin d'y trouver

du profit, je n'y rencontrais que des illusions de l'esprit de mensonge;

mieux valait y renoncer. Mais, à vrai dire, ce parti m'eût été bien dur; l'expérience m'avait trop bien appris ce qu'était mon âme sans l'oraison. Ainsi, partout ce n'était pour moi que difficultés. J'étais comme celui qui, au milieu d'un fleuve et près d'être englouti dans les flots, ne voit, de quelque côté que se dirige son effort, qu'un péril plus grand. C'est là une peine très cruelle, et j'en ai eu beaucoup à souffrir de ce genre, comme je le rapporterai dans la suite; ce que j'en dirai, quoique peu important en apparence, pourra néanmoins avoir son utilité, en montrant de quelle manière on doit éprouver les esprits.

Je l'affirme, elles sont grandes, angoisses où jette cette peine, et il faut user de prudence, surtout avec les femmes, à cause de leur faiblesse. On pourrait leur faire beaucoup de mal en leur disant sans détour que ce qui se passe en elles vient du démon.

Il faut tout examiner avec le plus grand soin, les éloigner des dangers, leur recommander sérieusement le secret, et le leur garder à elles-mêmes, ainsi qu'il convient.

J'insiste sur le secret, parce que j'ai eu beaucoup à souffrir de ce qu'il n'a pas été fidèlement gardé à mon égard. Quelques-uns de ceux à qui je rendais compte de mon oraison en interrogeaient d'autres, pour le bien de mon âme sans doute, mais enfin ils m'ont nui beaucoup, en divulguant des choses qui, n'étant pas pour tous, auraient dû demeurer secrètes; et c'était moi qui avais l'air de le publier.

Le Seigneur l'a permis, je crois, sans aucune faute de leur part, pour me faire souffrir. Je ne dis pas qu'ils parlaient de ce que je leur déclarais en confession je dis seulement que

leur ouvrant mon âme dans mes craintes pour être éclairée, j'avais droit,

ce me semble, à un secret absolu de leur part.

Malgré cela, je n'osai jamais rien leur cacher.

Mon avis est donc qu’il faut conduire les femmes avec une discrétion extrême en les encourageant, et en attendant avec patience le moment du Seigneur; ce Dieu de bonté ne manquera pas de venir à leur secours, comme il l'a fait pour moi. S'il ne m'eût ainsi assistée, les frayeurs qu'on me donnait auraient été capables de me nuire beaucoup, étant d'un naturel timide et craintif, et sujette en outre à de grandes souffrances du cœur. Je m'étonne que je n'en aie pas reçu un contre-coup très fâcheux.

 

Je donnai donc le livre à ce gentilhomme. Je lui remis en même temps une relation aussi fidèle qu'il me fut possible de ma vie et de mes péchés. Elle ne renfermait pas le détail de mes fautes comme une confession, puisqu'il était séculier, mais elle lui dévoilait toute la profondeur de ma misère.

Ce saint ecclésiastique et lui examinèrent avec une grande charité

et un parfait dévouement ce qui me regardait.

Dans l'intervalle, qui fut de quelques jours, je donnais de mon côté beaucoup de temps à l'oraison, je me faisais recommander à Dieu par plusieurs personnes, et j'attendais, non sans beaucoup de crainte, la réponse des deux serviteurs de Dieu.

Enfin, le gentilhomme se rendit près de moi profondément peiné, et me déclara qu'ils croyaient que

ce qui se passait en moi venait du démon.

Ils jugeaient tous les deux que le parti le plus convenable était d'ouvrir mon âme à un père de la compagnie de Jésus; il viendrait, si je l'en priais, lui déclarant que j'avais besoin de son secours; je devais, par une confession générale, lui rendre compte de toute ma vie, de mes inclinations, enfin de tout, avec une grande clarté; Dieu, par la vertu du sacrement, lui donnerait plus de lumières; ces pères étaient très versés dans les voies spirituelles; je ne devais m'écarter en rien de ce qu'il me dirait,

parce que j'étais en grand danger, si je n'avais quelqu'un pour me diriger.

Cette réponse me remplit d'un tel effroi et d'une peine si vive, que tout ce que je pouvais faire, c’était de répandre des larmes.

Etant un jour dans un oratoire, très affligée et ne sachant ce que j'allais devenir,

je lus dans un livre que le Seigneur me mit, ce semble,

lui-même entre les mains, ces paroles de saint Paul:

« Dieu est très fidèle; jamais il ne permet que

ceux qui l'aiment soient trompés par le démon (cf. 1 Co 10, 13). »

Cela me consola beaucoup. Je commençai à m'occuper de ma confession générale. Je fis par écrit un exposé de tout le mal et de tout le bien de ma vie, avec le plus de clarté et d'exactitude qu'il me fut possible. Je me souviens qu'après avoir terminé cet écrit, voyant d'un côté tant de mal, et de l'autre presque aucun bien, j'en ressentis une affliction et une douleur profondes.

Je fis connaître mon âme tout entière à ce serviteur de Dieu, car il l'était à un haut degré et, avait une rare prudence [9].

Comme il connaissait bien les voies spirituelles, il me donna lumière sur mon état, et il m’encouragea beaucoup. Il me dit que ce qui se passait en moi venait manifestement de l'esprit de Dieu; mais que je devais reprendre mon oraison en sous-œuvre, parce que je ne l'avais pas établie sur un fondement solide, et que je n'avais pas encore commencé à comprendre la mortification, ce qui était si vrai, que le nom même m’en était ce me semble, inconnu. Il ajouta que je devais bien me garder d'abandonner l'oraison, mais au contraire m'efforcer de m'y appliquer de plus en plus puisque Dieu m'y faisait des grâces si particulières; que savais-je si par moi le Seigneur ne voulait pas faire du bien à un grand nombre de personnes? Il me dit encore d'autres choses, par lesquelles il parut prophétiser ce que le Seigneur a depuis accompli à mon égard. Enfin, il me déclara que je serais je serais grandement coupable, si je ne répondais pas aux grâces que Dieu m'accordait. En tout ce qu'il me disait, le Saint-Esprit me semblait parler par sa bouche pour guérir mon âme, tant ses paroles s’y imprimaient profondément, ce qui me pénétrait d’une confusion extrême. Cet homme de Dieu me conduisit par des voies telles, qu'il s'opérait, ce me semble, en moi un changement absolu. Oh! que c'est une grande chose que de comprendre une âme! Il me dit de prendre chaque jour pour sujet de mon oraison un mystère de la Passion et d'en tirer mon profit, Ce ne penser qu'à l'humanité de Notre Seigneur, et quant à ces recueillements et ces douceurs spirituelles, de leur résister de toutes mes forces, sans leur donner entrée, jusqu'à ce qu'il m'ordonnât autre chose. Il me laissa consolée et pleine de courage. Le Seigneur, qui venait à mon secours, l'assista lui aussi pour lui faire connaître l'état de mon âme, et de quelle manière il devait me conduire. Je restai fermement déterminée à ne m'écarter en rien de ce qu'il me commanderait, et jusqu'à ce jour j'ai été fidèle à ma résolution. Loué soit le Seigneur de ce qu'il m'a fait la grâce d'obéir, quoique imparfaitement, à mes confesseurs! Ils ont presque toujours été de ces hommes bénis de la compagnie de Jésus; mais, je le répète, je n'ai qu'imparfaitement suivi leur direction. Mon âme commença dès lors à faire de sensibles progrès, comme on va le voir dans le chapitre suivant.

Me conduisant par la voie de l'amour de Dieu, il me laissait libre, sans autre contrainte que celle que mon amour m'imposait. Je restai ainsi près de deux mois, résistant de tout mon pouvoir aux délices spirituelles et aux faveurs que Dieu m'accordait. Quant à l'extérieur, mon changement était visible. Dieu me donnant un courage tout nouveau, je faisais certaines choses qui, aux yeux des personnes qui me connaissaient et des religieuses de mon monastère, semblaient extrêmes; vu ma conduite passée, elles avaient raison d'en juger ainsi; mais, eu égard aux obligations que mon habit et ma profession m’imposaient, je demeurait encore bien en arrière.

Cette résistance aux douceurs et aux caresses divines me valut, de la part de Notre Seigneur,une excellente instruction. J'étais persuadée auparavant que pour recevoir ces faveurs dans l'oraison, il fallait être dans la solitude la plus profonde; en sorte que je n'osais, pour ainsi dire, me remuer. Je vis depuis combien cela importait peu; car, plus je tâchais de faire diversion, plus le Seigneur m'inondait de suavité et de gloire; j'en étais tellement environnée, que je ne pouvais les fuir.

Je résistais avec un soin qui allait jusqu'au tourment; mais le Seigneur mettait un soin plus grand encore à me combler de ses grâces. Il se manifestait pendant ces deux mois beaucoup plus qu'il n'avait coutume de le faire,

afin de m'apprendre que je n'étais plus en mon pouvoir.

Je sentis renaître en moi l'amour de la très sainte humanité de Notre Seigneur; mon oraison commença aussi à s'affermir, comme un édifice qui repose sur un solide fondement; enfin, je m'affectionnai davantage à la pénitence, que j'avais négligée à cause de mes grandes infirmités. Ce saint homme qui me confessait me dit que certaines austérités ne pouvaient me nuire, et que Dieu ne m'envoyait peut-être tant de maladies, que pour m'imposer une pénitence que je ne faisais pas. Il m'ordonnait certaines mortifications qui étaient fort peu de mon goût; je me soumettais à tout néanmoins, convaincue que le Seigneur lui-même me le commandait par son ministre, et il lui donnait grâce pour me le commander de manière à être obéi.

Déjà mon âme ressentait même les plus petites offenses que je commettais envers Dieu; m'arrivait-il, par exemple, d'avoir quelque chose de superflu, je ne pouvais me recueillir avant de m'en être dépouillée. Je suppliais instamment le divin Maître de me tenir de sa main, et de ne pas permettre que, traitant avec ses serviteurs, je retournasse en arrière; une pareille infidélité me semblait très coupable, parce qu'elle leur aurait fait perdre le crédit dont ils jouissaient.

En ce temps vint dans cette ville le P. François de Borgia [10]. Duc de Gandie quelques années auparavant, il avait tout quitté et était entré dans la compagnie de Jésus. Mon confesseur me procura l'occasion de lui parler et de lui rendre compte de mon oraison; car il savait que Dieu lui accordait de grandes faveurs et des délices spirituelles, le récompensant ainsi, dès cette vie même, d'avoir tout abandonné pour le servir. Le gentilhomme dont j'ai parlé précédemment vint aussi me voir dans le même but.

Après m'avoir entendue, le P. François de Borgia me dit que ce qui se passait

en moi venait de l'esprit de Dieu; il approuvait la conduite que j'avais tenue jusque-là,

mais il croyait qu'à l'avenir je ne devais plus opposer de résistance.

Désormais, je devais toujours commencer l'oraison par un mystère de la Passion; et si ensuite Notre Seigneur, sans aucun effort de ma part, élevait mon esprit à un état surnaturel, je devais, sans lutter davantage, m'abandonner à sa conduite.

Il montra alors combien il était avancé lui-même, en me donnant ainsi le remède et le conseil; car en ceci l'expérience fait beaucoup.

Il déclara que ce serait donner dans l'erreur que de résister plus longtemps.

Pour moi, je demeurai bien consolée, et ce gentilhomme aussi. Très satisfait que ce père eût reconnu l'action de Dieu dans mon âme, il continuait à m'aider et à me donner des conseils en tout ce qu'il Pouvait, et il pouvait beaucoup.

 

A cette même époque, on envoya mon confesseur [11] dans une autre ville. Cet éloignement me fut très sensible; je ne croyais pas pouvoir trouver un directeur semblable à lui, et je tremblais de retomber dans le triste état où j'étais auparavant. Mon âme resta comme dans un désert, sans consolation, et agitée de tant de craintes que je ne savais que devenir. Une de mes parentes obtint alors de mes supérieurs la permission de me mener chez elle. Je n'y fus pas plus tôt, que je m'empressai d’avoir un autre confesseur de la compagnie de Jésus [12].

Le Seigneur, dans sa bonté, fit que je commençai à me lier d'amitié avec une veuve de grande naissance très adonnée à l'oraison, et qui communiquait beaucoup avec ces pères. Elle m'engagea à prendre pour confesseur celui qui la dirigeait [13]. Je passai un certain temps dans la maison de cette dame [14]; je me trouvais tout près de celle des pères, et j'étais très heureuse de pouvoir communiquer facilement avec eux. La seule connaissance de la sainteté de leur vie faisait sur moi une impression si heureuse, que mon âme, je le sentais, en retirait un grand profit spirituel.

 

Suite !! 

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