Le principal oracle d'Apollon est celui de Delphes, qui est probablement fondé entre 900 et 700 av. J.-C.[92] Dès l'époque archaïque, Apollon delphien est omniprésent dans la vie des cités : il approuve leurs lois, comme la Grande Rhêtra de Sparte ou la constitution de Clisthène à Athènes, et donne sa bénédiction aux expéditions coloniales. Il apparaît dans les mythes héroïques comme celui d'Œdipe ou de Thésée. Les Jeux pythiques, en l'honneur d'Apollon, sont le concours public le plus important après les Jeux olympiques. À l'époque hellénistique, il conseille le Sénat romain. Après une période de déclin au Ier siècle av. J.-C., le sanctuaire est détruit au IVe siècle par les chrétiens.
Un dieu solaire ?
L'identification d'Apollon avec le soleil n'apparaît dans aucune source avant le Ve siècle av. J.-C. — à l'époque archaïque, ce sont Hélios ou Hypérion qui représentent le feu solaire[93] ; la première mention attestée remonte à Euripide, dans un fragment de la tragédie perdue Phaéton[94],[93]. L'assimilation s'explique par l'épithète φοῖϐος / Phoibos, littéralement « le brillant » qui est associée à Apollon chez Homère[95]. Elle rencontre un grand succès parmi les poètes, où le nom « Apollon » est souvent employé, par métonymie, pour désigner le soleil, de même que « Déméter » pour le pain ou « Héphaïstos » pour le feu. On en trouve peu d'écho dans le culte d'Apollon.
Origines
La thèse d'une origine « asiatique » (c'est-à-dire anatolienne) d'Apollon et d'Artémis a été développée par des grands noms de l’hellénisme tels que Wilamowitz en 1903[96] ou M. P. Nilsson en 1925[97]. Le nom même de Léto pourrait venir du lycien, un dialecte indo-européen parlé autrefois en Anatolie, et signifierait, sous la forme Lada, « femme ». L'une des épiclèses d'Apollon, Apollon Lycien, conforte cette hypothèse. De même, l'arme d'Apollon et de sa jumelle, l'arc, n'est pas grec mais barbare (au sens grec : tous les peuples qui ne parlent pas le grec) ; il porte de plus, comme sa sœur, non pas des sandales, à l'instar des autres dieux, mais des bottines, type de chaussure considérée comme asiatique par les Anciens. En outre, il est, dans l'Iliade d'Homère, du côté des Troyens, peuple asiatique, et le rejet que subit Léto, que nulle terre grecque n'accepte, conforterait l'idée d'un dieu étranger. C'est paradoxalement peut-être le dieu le plus grec de tous, et son adoption rapide par les peuples hellènes a vite dissimulé ses origines lointaines.
Il est aussi possible que ses origines remontent au peuple dorien du Péloponnèse, lequel honorait un dieu nommé Ἀπέλλων / Apéllôn, protecteur des troupeaux et des communautés humaines ; il semblerait que le terme vienne d'un mot dorien, ἀπέλλα / apélla, signifiant « bergerie » ou « assemblée ». L'Apellon dorien serait une figure syncrétique de plusieurs divinités locales pré-grecques, de même que l'Apollon grec est la fusion de plusieurs modèles, dont Apollon ; il est d'ailleurs remarquable que son épithète de Lycien puisse être comprise comme « qui vient de Lycie » ou « qui protège des loups », c'est-à-dire que les deux origines, l'une asiatique et l'autre dorienne, se confirment en un seul terme.
Lorsque son culte s'introduit en Grèce, il est déjà honoré par d'autres peuples pré-hellènes, ce que l'Hymne homérique qui lui est destiné indique en signalant que les Crétois étaient ses premiers prêtres. Son premier lieu de culte est bien sûr Délos, capitale religieuse des Ioniens ; c'est sous Périclès, au Ve siècle av. J.-C., que l'île passe aux mains des Athéniens, qui confortent son caractère de sanctuaire inviolable en y faisant interdire toute naissance et toute mort. Le culte d'Apollon s'était entre-temps répandu partout dans le monde Antique, de l'Asie Mineure (le sanctuaire de Didymes, près de Milet, en porte la trace flagrante : c'est l'un des plus grands temples jamais bâtis dans la zone méditerranéenne) à la Syrie, sans parler des innombrables temples qui lui sont dédiés en Grèce même.
Une divinité gréco-celtique
Au rebours de la thèse traditionnelle, Bernard Sergent, spécialiste de mythologie comparée, s'attache à montrer dans Le livre des dieux. Celtes et Grecs, II (Payot, 2004) l'identité d'Apollon et du dieu celtique Lug. Pour lui, le dieu n'est pas asiatique mais gréco-celtique, et par-delà, indo-européen. Il remonte au moins à la séparation des ancêtres des Celtes et des Grecs, au IVe millénaire av. J.-C., et il est arrivé « tout d'un bloc » en Grèce : ce n'est pas une divinité composite. Il possède des homologues en domaine germanique (Wotan) ou indien (Varuna).
Apollon serait la version divine du roi humain. Les poèmes homériques lui donnent systématiquement l'épithète anax, qui remonte à la désignation mycénienne du roi, wanax. Or le roi indo-européen est rattaché aux trois fonctions définies par Georges Dumézil, d'où la complexité d’Apollon : il remplit toutes les fonctions que puisse avoir un dieu. La définition de Lug donnée par C.-J. Guyonvarc'h et F. Le Roux peut aussi bien s'appliquer à lui : il est « tous les dieux résumés en un seul théonyme ».
B. Sergent compare une à une toutes les caractéristiques connues de Lug et d'Apollon et relève de nombreux points communs : ce sont des dieux lumineux, jeunes, beaux, grands, mais parfois polycéphales et hermaphrodites, pratiquant des épiphanies, des rapides disposant d'une puissance foudroyante, de très grands « druides », des guerriers, des protecteurs des troupeaux, des maîtres des moissons, associés aux arbres, des maîtres du temps, des médecins, les maîtres des fondations, les responsables des défrichements et des chemins, les protecteurs des assemblées, les maîtres des initiations, des méchants, des rusés, des maîtres des techniques, des maîtres tout court, des dieux des hauts lieux et des grosses pierres.
Leurs attributs communs sont l'arme de jet, l'instrument à cordes, le corbeau, le roitelet, « l'aigle pourri », le cygne, le coq, le héron et la grue, le chien et le loup, le cerf, le sanglier, le serpent et la tortue, l'ours, le dauphin, le phoque, le poisson, le cheval, la pomme et la branche nourricière, les nombres trois, sept et neuf, la danse en rond sur un pied, la pourriture.
Ils sont également rattachés à des mythes communs, tels que la naissance, le meurtre des géants borgnes, la succession de Terre (Gaïa ou Thémis en Grèce, Tailtiu en Irlande) ou la fondation de jeux.
Par ailleurs, selon B. Sergent, le culte d'Apollon ne s'est fixé en Lycie qu'au IVe siècle av. J.-C.. Auparavant, les Grecs ont pu faire des « jeux de mots » entre le nom de la Lycie (Lukia en grec) et les épithètes Lukeios, Lukios, Lukêgenès d'Apollon, qui se rapportent au loup (lukos), l'un des attributs d'Apollon, ou à la lumière (lukê). Il serait Lukê-genès, comme le dit l’Iliade, parce qu'il serait « né de la lumière » et non pas « né en Lycie ».
C'est surtout à Delphes que le caractère complexe du dieu se révèle, dans son rôle d'inspirateur de la Pythie et des hommes, qu'il révèle à soi.
Le dieu-loup ?
Dans Apollo the Wolf-god[98], Daniel E. Gershenson voit en Apollon un dieu d’origine indo-européenne, dont les attributs principaux seraient rassemblés dans l’expression Apollon dieu-loup. Cet auteur s’inscrit dans la lignée des travaux de Louis Gernet Dolon le loup et de Henri Jeanmaire Couroï et Courètes.
Par là, il faut entendre non pas le culte de l’animal en lui-même, mais de son symbolisme de loup mythique, lequel n’est autre que le vent considéré tant par ses vertus bénéfiques que destructrices. Les vents, comme Zéphyr le vent-loup, peuvent être favorables aux semences, mais sont aussi tenus pour issus des cavernes et cette origine souterraine les mets en relation avec les Enfers. Le vent est ainsi le passage entre le chaos et le cosmos.
Ceci explique le rôle de la divinité comme tuteur des éphèbes, de jeunes guerriers qui accomplissent leur initiation d’adultes, sa fonction de protecteur du grain semé et enfin sa qualité de dieu de la prophétie qui révèle les mystères et initie les musiciens et les poètes. Le Lycée (Λύκειον / Lykeion) rendu célèbre par Aristote est placé dans un gymnase jouxtant le temple d’Apollon Lykeios. Apollon Lykeios, le dieu-loup, serait le maître des passages, dieu qui transforme les forces chaotiques des confréries de loups-garous de l’adolescence vers l’âge adulte, qui dévoile par la prophétie ou la Pythie le monde caché vers le découvert.
Gershenson présente de nombreux témoignages dans le monde européen qui pourraient montrer que ce dieu-loup et dieu-vent remonte à une période antérieure à la séparation des peuples européens qui ont pénétré en Europe centrale et méridionale. Ses déductions ont été confirmées plus tard par Bernard Sergent, un auteur qui a notamment souligné le lien d'Apollon avec les loups et son rôle joué dans les initiations, ainsi que son origine indo-européenne. Apollon est particulièrement associé à Borée, le Vent du Nord. Lug, son équivalent celtique, est un « chevaucheur de tempêtes ». Sergent a cependant accusé Gershenson de donner une vision trop réductrice d'Apollon, ce dieu ayant une personnalité beaucoup plus riche que celle décrite dans cette thèse
Synthèse de plusieurs mythologies
Dans l'Iliade, Apollon est décrit comme un dieu lunaire : son arc est d'argent, couleur liée à la nuit et à la lune. Ensuite, de multiples évolutions l'amèneront à devenir un dieu solaire (son épithète Phœbus, la lumière), son arc et ses flèches renvoient d'ailleurs aux rayons solaires. Toujours dans les poèmes homériques, il y est perçu comme un dieu-vengeur, menaçant, porteur de peste. Dans le chant I de l'Iliade, ses surnoms sont les suivants : toxophore, Seigneur archer, argyrotoxos, à l'arc d'argent, etc. Cette attitude vengeresse est accompagnée de traits de caractère belliqueux : Homère l'y décrit comme un dieu orgueilleux, emporté par ses sentiments et par la violence. Rappelons que les poèmes Homériques (L'Iliade) écrits dans le IXe siècle avant Jésus-Christ narrent une histoire antérieure de près de quatre siècles (Troie a été détruite dans les années 1280 ACN). Le dieu Apollon n'a pas encore subi les influences qui l'amèneront à devenir le dieu complexe qu'il est dans la Grèce classique.
Également, initialement, Apollon était perçu comme un dieu agraire en tant que dieu-rat, même s'il porte le titre de Smintheus (tueur de souris), montrant là sa capacité à amener une maladie, en l'occurrence la peste, et à la guérir. En outre, Apollon était également doté d'attributions paradoxales telles que « maître des fauves » et « berger ».
Le Dictionnaire des Symboles, publié chez Robert Laffont, dit de lui : » Réunissant des éléments divers, d'origine nordique, asiatique, égéenne, ce personnage divin devient de plus en plus complexe, synthétisant en lui nombre d'oppositions, qu'il parvient pour finir en un idéal de sagesse, qui définit le miracle grec. Il réalise l'équilibre et l'harmonie des désirs, non en supprimant les pulsions humaines, mais en les orientant vers une spiritualisation progressive, grâce au développement de la conscience ».
Représentations artistiques
Apollon est représenté les cheveux longs, conformément à l'une de ses épithètes homériques[99]. La coiffure est typique des jeunes gens ou kouroi, terme dérivé de la racine ker-, « tondre, couper » (sous-entendu : les cheveux)[100]. Le passe-temps typique du jeune homme étant l'athlétisme, pratiqué nu, l'offrande typique à Apollon prend la forme, à l'époque archaïque, d'un jeune homme debout, nu, les cheveux longs, type statuaire que les historiens de l'art appellent le kouros.
l'époque moderne
Apollon et l'art de Louis XIV