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33. Si les moines ont le droit de posséder quelque chose en propre.
L'un des principaux désordres à retrancher du monastère et à extirper jusqu'à la racine est l'esprit de propriété. Nul n'aura donc la hardiesse de donner ou de recevoir quoi que ce soit sans l'autorisation de l'abbé. Un moine ne saurait détenir en propre un objet quelconque, non pas même un livre, ni des tablettes, ni une écritoire, bref ; absolument rien, puisqu'il ne peut même plus disposer librement ni de son corps, ni de sa volonté, et qu'il attend du seul père de la communauté qu'il pourvoie à toutes ses nécessités. Ainsi donc, il n'est jamais licite de s'attribuer quelque chose qu'on ne tienne de la main de l'abbé ou de sa permission. Tout doit être commun à tous, selon l'Ecriture, et nul n'aura la témérité de faire sienne chose quelconque, pas même en paroles.
Si l'on surprend quelqu'un qui s'adonne à ce vice détestable, on l'avertira une fois ou deux; s'il ne s'amende, il subira une mordante correction.
34. Si tous doivent recevoir également le nécessaire.
"On distribuait les parts de chacun selon les besoins de chacun." L'Ecriture indique par là ce qu'il convient de faire. Cela ne signifie nullement qu'il y ait acception de personne, Dieu nous en préserve ! Mais qu'on ait égard aux infirmités : celui à qui peu suffit, qu'il rende grâces à Dieu et ne soit pas chagrin ; et celui à qui il faut davantage, s'humiliera de sa faiblesse, loin de se prévaloir des ménagements qu'on a pour lui. De la sorte, tous les membres vivront en bonne intelligence. Surtout, qu'on ne voie jamais éclater le vice du murmure, sous quelque prétexte que ce soit, ni dans la moindre parole, ni par une manifestation quelconque. Tout frère surpris dans cette faute sera soumis à un châtiment très sévère.
35. Des semainiers de la cuisine.
Les frères doivent se servir les uns les autres à tour de rôle. Aucun, dès lors, ne sera dispensé de ce service de la cuisine, excepté ceux qui ont mauvaise santé ou qui vaquent à d'importantes et urgentes occupations, car c'est la source d'un grand mérite et d'un accroissement de charité. Les faibles recevront des aides : on leur épargne ainsi l'accablement ; et, du reste, il convient de façon générale que les frères en charge soient secondés, d'après l'état de la communauté et la situation du lieu. Dans les grandes communautés, le cellérier est dispensé de la cuisine, et ceux-là pareillement qui vaquent, disions-nous, à des tâches absorbantes. Les autres feront leur service tour à tour dans le sentiment d'une charité mutuelle.
Le samedi, en sortant de semaine, le cuisinier fera les nettoyages. Il lavera les linges dont les frères s 'essuient les mains et les pieds. Avec le frère qui entre en fonction, celui qui sort de semaine lavera aussi les pieds de chacun. Il remettra, propres et en bon état, entre les mains du cellérier, les ustensiles de son office, et le cellérier les confiera à celui qui entre en semaine, prenant note de ce qu'il donne comme de ce qu'il reçoit.
Une heure avant la réfection commune, les semainiers recevront chacun, en sus de la portion ordinaire, un coup à boire et du pain, afin qu'au moment du repas ils puissent servir leurs frères sans excès de fatigue et qu'ils n'aient pas sujet de murmurer. Toutefois, les jours de solennités, il leur faudra différer jusqu'après la Messe.
Les semainiers qui entrent en charge ou qui en sortent, se mettent à genoux devant tous à l'oratoire, le dimanche à l'issue des Matines, demandant que l'on prie pour eux. Celui qui sort de semaine dit le verset : Benedictus es, Domine Deus, qui adjuvisti me et consolatus es me. Quand il l'a dit trois fois. il reçoit la bénédiction, et celui qui entre en semaine lui succède en disant : Deus in adjutorium meum intende Domine, ad ajuvandum me festina. Et le chœur ayant aussi répété ce verset par trois fois, le semainier recevra la bénédiction et entrera en fonction.
36. Des frères malades.
Le soin des malades passe avant tout : de toutes les tâches c'est la plus urgente. Qu'on se dévoue à leur service comme on ferait pour le Christ en personne, car il a dit : " J'ai été malade, et vous m'avez assisté " ; et encore : "Je tiens pour fait à moi-même ce que vous avez fait au moindre de ceux-ci." De leur côté, les malades doivent comprendre que c'est pour honorer Dieu qu'on s'emploie à leur service et ils éviteront de contrister par d'importunes exigences les frères qui les soignent. Seraient-ils d'ailleurs incommodes, qu'on devrait encore les supporter avec patience, et ne voir là que l'occasion d'une récompense plus abondante. L'abbé aura donc un extrême souci d'empêcher qu'ils ne souffrent d'aucune négligence.
On destinera à ces frères malades un logis spécialement approprié, avec un infirmier qui craigne Dieu, qui soit diligent et soigneux. On offrira aux malades l'usage des bains autant de fois qu'il sera expédient, mais à ceux qui se portent bien, surtout dans le jeune âge, on l'accordera plus rarement. On pourra même permettre a ceux qui sont très débilités de manger de la viande afin de se refaire ; mais lorsqu'ils auront repris des forces, ils reviendront comme tout le monde à l'abstinence accoutumée. Encore une fois, l'abbé apportera toute sa sollicitude à prévenir, de la part des cellériers et infirmiers, la moindre négligence dans le traitement des malades, car il est le premier responsable des manquements de ses disciples.
37. Des vieillards et des enfants.
Un sentiment naturel d'humanité nous porte à l'indulgence envers ces deux âges, la vieillesse et l'enfance. Il est bon pourtant que l'autorité de la Règle intervienne en leur faveur. On aura donc toujours égard à leur faiblesse, et on ne maintiendra aucunement pour eux les restrictions alimentaires du régime commun. Mais on usera envers eux d'une affectueuse condescendance et ils pourront devancer l'heure régulière des repas.
38. Du lecteur semainier.
La lecture ne doit jamais faire défaut pendant les repas, et il ne s'agit pas que le premier venu s' empare du livre et se propose séance tenante pour faire cette lecture, mais qu'un frère entre le dimanche en fonction pour la semaine entière. Il débutera en sollicitant pour lui les prières de tous, après la messe et la communion du dimanche, afin que Dieu le préserve de se laisser gagner par une vaine prétention. A cet effet, tous reprendront trois fois après lui le verset Domine, labia mea aperies, et os meum annuntiabit laudem tuam. Il recevra alors la bénédiction qui l'introduit dans cet office de lecteur.
A table on gardera un silence si profond que l'on n'y entende aucun chuchotement, aucune autre voix que celle du lecteur. Le service doit s'effectuer de telle sorte que les uns et les autres pourvoient aux besoins de chacun dans le boire et le manger, et que nul n'ait sujet de demander lui-même quoi que ce soit. Si toutefois c'était nécessaire, on attirera plutôt l'attention par un signe qu'en formulant une réclamation. Personne n'aura non plus la hardiesse au réfectoire de poser des questions à propos de la lecture ou sur quelque autre matière, car ce serait une occasion de désordre. Il peut arriver cependant que le supérieur juge opportun de prononcer quelques paroles instructives, mais il sera bref.
Le lecteur de semaine, avant de commencer sa lecture, recevra le mixte, soit en raison de la sainte communion qui précède, soit pour s'épargner la fatigue d'un jeûne prolongé. Il prendra ensuite son repas en même temps que les semainiers de la cuisine et les serviteurs de table.
Les frères ne sont pas tous lecteurs ou chantres à tour de rôle. mais ceux-là seuls dont la lecture est profitable à ceux qui les écoutent.
39. De la mesure du boulanger.
A notre avis, pour la réfection quotidienne aussi bien à sexte qu'à none, deux mets cuits doivent suffire à toutes les tables, et répondre aux besoins divers, en sorte que si parfois on ne pouvait manger de l'un, on trouverait dans l'autre de quoi se refaire. Deux mets cuits peuvent donc satisfaire la variété des appétits mais si l'on a à sa disposition des fruits ou des pousses de légumineuses on les ajoutera en troisième lieu. Une livre de pain à bon poids suffira comme portion quotidienne soit qu'on prenne un seul repas, soit qu'il y ait dîner et souper, et dans ce dernier cas, le cellérier réservera un tiers de cette même livre pour le souper. S'il arrive que les frères aient un surcroît de travail, libre à l'abbé d'ajouter à l'ordinaire ce qu'il jugera expédient sans d'ailleurs favoriser jamais la gloutonnerie ni donner à un moine l'occasion d'être pris d'indigestion. Rien n'est plus contraire à la condition chrétienne que l'excès dans le manger comme le dit Notre-Seigneur : "Prenez garde que vos cœurs ne s'abrutissent par des excès de table."
Pour les enfants d'âge encore tendre, on n'observera pas la mesure fixée pour les grandes personnes : leur portion sera moindre, de manière à éviter tout gaspillage.
La chair des quadrupèdes est un aliment dont tous doivent généralement s'abstenir, mais il y a exception pour les malades très affaiblis.