D'elle-même, elle s'y élance comme à une fête, et son jeune front porte déjà une auréole, sur laquelle on peut lire : Joie dans le sacrifice!
Car il me semblait être comme une esclave qui se voit délivrée de sa prison et de ses chaînes, pour entrer dans la maison de son Époux, pour en prendre possession et jouir en toute liberté de sa présence, de ses biens et de son amour. C'était ce qu'il disait à mon coeur, qui en était tout hors de lui-même et je ne savais rendre autre raison de ma vocation pour Sainte Marie, sinon que je voulais être fille de la sainte Vierge.
Mais j'avoue que, dans le moment qu'il fallut entrer, qui était un samedi, toutes les peines que j'avais eues, et plusieurs autres, me vinrent assaillir si violemment, qu'il me semblait que mon esprit allait se séparer de mon corps en entrant. Mais aussitôt, il me [fut] montré que le Seigneur avait rompu mon sac , de captivité et qu'il [me] revêtait de son manteau de liesse (2) ; et la joie me transportait tellement que je criais : c'est ici où Dieu me veut ! Je sentis d'abord gravé dans mon esprit que cette maison de Dieu était un lieu saint, et que toutes celles qui l'habitaient devaient être saintes, et que ce nom de Sainte-Marie me signifiait qu'il la fallait être à quel prix que ce fût, et que c'était pourquoi il fallait s'abandonner et sacrifier à tout, sans aucune réserve ni ménagement (3). »
L'âme qui comprend ainsi la vie religieuse est-elle assez apte à l'embrasser ? Affirmer que oui, c'est reconnaître l'oeuvre de préparation de l'Esprit-Saint. Étudions maintenant son oeuvre de transformation.
Aussi, lorsque dans son ardeur d'apprendre à faire l'oraison — science qu'elle croyait ignorer — Soeur Marguerite vint supplier sa maîtresse de la lui enseigner, la Soeur Thouvant se contenta-t-elle de lui répondre : « Allez vous mettre devant Notre-Seigneur comme une toile d'attente devant un peintre (1). » Soeur Marguerite obéit et le Sauveur lui donna en même temps la double intelligence de cette parole et du mystère qu'elle signifiait, lui révélant que son âme était cette toile sur laquelle il voulait peindre tous les traits de sa vie souffrante.
L'artiste divin se hâta de se mettre à l'oeuvre. Il tarda cependant trop encore au gré des brûlants désirs de cette toile vivante et aimante, qui cherchait en vain la croix et se plaignait de ne trouver que saintes et pures jouissances au service de son Dieu. Ce n'était là qu'un stratagème du divin amour; car ce délai ne devait pas frustrer notre Sainte d'une seule goutte de la sève amère, mais sanctifiante, qui découle de l'arbre de la Croix.
Si nous voulons avoir une idée des opérations secrètes de la grâce dans l'âme de cette prédestinée, dès ses premiers jours de vie religieuse, elle-même va nous le dire, sans se douter de la surhumaine beauté de son langage :
« Il me dépouilla de tout en ce moment, et après avoir vidé mon coeur et mis mon âme toute nue, il y alluma un si ardent désir de l'aimer et de souffrir, qu'il ne me donnait point de repos, me poursuivant de si près, que je n'avais de loisir que pour penser comme c'est que je le pourrais aimer en me crucifiant (1). »
Le nom de Marie, qu'elle avait déjà pris à sa confirmation, fut simplement ajouté à son nom de Marguerite. Désormais, nous l'appellerons : Soeur Marguerite-Marie.
Ce jour-là, Notre Seigneur lui fit comprendre que c'était le temps de leurs divines fiançailles et qu'il la comblerait de faveurs durant tout le temps de son noviciat. Cette parole se vérifia si bien, et la novice fut parfois tellement inondée de consolations et de grâces extraordinaires, qu'elle habitait réellement d'autres régions que celles de la terre, ce qui la jetait dans une singulière confusion. Comme on la remarquait toujours perdue en Dieu, les supérieures voulurent s'assurer de l'esprit qui la conduisait.
Pour cela, on la retirait à tout propos des exercices spirituels, l'envoyant balayer au lieu de faire oraison et semant sous ses pas mille et mille occasions de sacrifice et de renoncement. Soeur Marguerite-Marie, qui trouvait son ciel dans la volonté de Dieu, était contente de tout et jouissait tout aussi bien de son Jésus, en agissant pour lui, qu'en s'abîmant en lui, par la contemplation. Aussi s'en allait-elle, paisible et sereine, à ses petites occupations, chantant ce naïf couplet, qu'elle avait composé
Plus l'on contredit mon amour,
Plus cet unique bien m'enflamme ;
Que l'on m'afflige nuit et jour
On ne peut l'ôter à mon âme.
Plus je souffrirai de douleur,
Plus il m'unira à son Coeur (1).
Une fois, me voulant tourner pour me soulager une épaulé qui me faisait mal, il me dit ces paroles : que lorsqu'il portait sa Croix, il ne la changeait pas de côté pour se soulager (1). » Marguerite-Marie s'en souvint toujours.
Une seule chose la tourmentait. « Je me sentais une faim insatiable des humiliations et mortifications, » dit-elle, « bien que mon naturel sensible les ressentît vivement. Mon divin Maître me pressait sans cesse d'en demander, ce qui m'en procurait de bonnes ; car, quoiqu'on me , refusât celles que je demandais, comme indigne de les faire, on m'en donnait d'autres que je n'attendais pas, et si opposées à mes inclinations, que j'étais obligée de dire à mon bon Maître, dans l'effort de la violence qu'il me fallait [faire] — Hélas ! venez à mon secours, puisque vous en êtes la cause ! — Ce qu'il faisait en me disant : — Reconnais donc que tu ne peux rien sans moi, qui ne te laisserai point manquer de secours, pourvu que tu tiennes toujours ton néant et ta faiblesse abîmés dans ma force (2). »
Un acte de générosité, accompli par Soeur Marguerite-Marie dans une rencontre très coûteuse à la nature, lui valut un redoublement de libéralité dans les faveurs de son doux Seigneur. Le fait est bien simple, si simple même, qu'il surprend dans une telle vie; mais il montre du moins quel prix Dieu attache aux petites choses faites avec un grand amour.
Afin de la déprendre d'une affection trop naturelle pour une de ses compagnes, il fallut que l'Ami divin se montrât sévère, lui disant qu'il ne voulait point de coeur partagé, que si elle ne se retirait des créatures, il se retirerait d'elle. Ce reproche fut décisif. Mais en cette circonstance, Celui qui se nomme un « Dieu jaloux (4) » avait dû attendre quelques mois, avant de triompher des résistances de cette nature aimante.
Le Sauveur lui fit alors voir son corps sacré, couvert des plaies qu'il avait souffertes pour son amour, lui reprochant son ingratitude et sa lâcheté à se dominer pour l'amour de lui. « Que voulez-vous donc, mon Dieu, que je fasse, puisque ma volonté est plus forte que moi ? » Il lui dit que si elle la mettait dans la plaie de son sacré Côté, elle n'aurait plus de peine à se surmonter.
« O mon Sauveur, » s'écria-t-elle, « mettez-l'y si avant et l'y fermez si bien, que jamais elle n'en sorte!... » Dès ce moment, tout lui parut si facile qu'elle n'eut plus de peine à se vaincre (1). »
Néanmoins, dans un autre ordre d'idées, Notre-Seigneur devait encore rencontrer des résistances en cette âme d'élite.
Serait-ce pendant son noviciat qu'il lui dit : « Je cherche une victime pour mon Coeur, laquelle se veuille sacrifier comme une hostie d'immolation à l'accomplissement de mes desseins ? (2) »
C'est très probable ; mais ce qui est incontestable, c'est que, le jour où le divin Maître lui fit cette confidence, Soeur Marguerite-Marie se récusa de toutes ses forces, ne pouvant comprendre comment la sainteté infinie de Dieu jetait les yeux sur elle pour un tel office de propitiation. D'autres âmes étaient bien plus propres à le remplir que' la sienne, pensait-elle sincèrement. Mais Notre-Seigneur insiste et sa voix prend le ton du commandement : « Je n'en veux point d'autre que toi, et-je veux que tu consentes à mon désir. (1) » Elle allègue qu'elle dépend de l'obéissance. Vain prétexte devant Celui qui tient les coeurs des hommes en sa main... Il inspire à la supérieure d'approuver ce qu'il demande de sa servante. Désormais celle-ci ne pourra plus se soustraire aux divines exigences.
Quand un artiste a devant lui une perle, précieuse entre toutes, il médite longtemps comment il l'enchâssera ; et c'est un des secrets de son génie de combiner un enchâssement d'autant plus sobre d'ornements que la perle est plus belle en elle-même.
De toute éternité, le Coeur de Jésus avait choisi l'Institut fondé par saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal pour y enchâsser sa Marguerite; parce que là, tout devant être simple, humble, caché, l'incomparable éclat de cette perle du ciel ne ferait que resplendir davantage aux yeux de toute l'Église. Non seulement Marguerite-Marie est appelée à la Visitation et rien ne changera cette élection divine ; mais le souverain Seigneur va prendre soin d'avertir notre Sainte qu'il veut qu'elle préfère sa règle à tout le reste, et que lui-même y ajustera ses grâces. Elle devra vivre de l'esprit de sa règle avant tout. Les faveurs de son divin Époux l'y enfonceront toujours plus, au lieu de l'en retirer jamais.
Toujours plein d'une divine condescendance, le Maître répondit à la novice : « Eh bien! ma fille, je t'accorde tout cela, car je te rendrai plus utile à la religion qu'elle ne pense, mais d'une manière qui n'est encore connue que de moi ; et désormais j'ajusterai mes grâces à l'esprit de ta règle, à la volonté de tes supérieures et à ta faiblesse ; en sorte que tu tiennes suspect tout ce qui te retirera de l'exacte pratique de ta règle, laquelle je veux que tu préfères à tout le reste.
De plus, je suis content que tu préfères la volonté de tes supérieures à la mienne, lors qu'elles te défendront de faire ce que je t'aurai ordonné. Laisse-les faire tout ce qu'elles voudront de toi : je saurai bien trouver le moyen de faire réussir mes desseins, même par des moyens qui y semblent opposés et contraires.
Et je ne me réserve que la conduite de ton intérieur et particulièrement de ton coeur, dans lequel, ayant établi l'empire de mon pur amour, je ne le céderai jamais à d'autres (1). »
Cette vraie obéissante crut à la parole de son Dieu; si bien que, malgré les recherches les plus minutieuses, les Soeurs qui avaient aperçu les deux bêtes courant dans le potager, n'y purent trouver aucune trace de leur passage.
Ici, Soeur Marguerite-Marie a une comparaison vivante, pour rendre ce qui, alors, se passa en son âme, sous l'application du sang rédempteur. « Il me semblait me voir et sentir dépouillée et revêtue en même temps d'une robe blanche, avec ces paroles : — « Voici la robe d'innocence dont je revêts ton âme, afin que tu ne vives plus que de la vie d'un Homme-Dieu, c'est-à-dire que tu vives comme ne vivant plus, mais me laisser vivre dans toi. Car je suis ta vie, et tu ne vivras plus qu'en moi et par moi (1). »
Cette robe d'innocence, que le Seigneur en était jaloux pour sa bien-aimée ! Dans un autre écrit, elle rapporte plus au long les paroles de son Souverain : « Moi, ton Époux, ton Dieu et ton Amour, ma bien-aimée, je suis venu pour revêtir ton âme de la robe d'innocence, afin que tu ne vives que de la vie d'un Homme-Dieu, et pour cela je simplifierai et purifierai toutes tes puissances, afin qu'elles ne reçoivent plus aucune impression étrangère. Et c'est en présence de la Sainte Trinité et de ma sainte Mère que je te fais cette grâce, laquelle si tu viens une fois à perdre, tu ne la recouvreras jamais, et tu te précipiteras dans un abîme si profond, à cause de la hauteur du lieu où je t'ai logée, qui est la plaie de mon Coeur, que tu ne pourras jamais te relever de cette chute (2). ».
Son divin Maître lui répondit : « Souviens-toi que c'est un Dieu crucifié que tu veux épouser; c'est pourquoi il te faut rendre conforme à lui, disant adieu à tous les plaisirs de la vie, puisqu'il n'y en aura plus pour toi qu'il ne soit traversé de la croix (1). »
Pendant cette mémorable retraite, Soeur Marguerite-Marie se traça un plan de perfection — ou plutôt l'Esprit-Saint le lui traça de main de maître. « Voici mes résolutions qui doivent durer jusqu'à la fin de ma vie, puisque mon Bien-Aimé les a dictées lui-même. Après l'avoir reçu dans mon coeur, il me dit : — Voici la plaie de mon Côté, pour y faire ta demeure actuelle et perpétuelle. C'est où tu pourras conserver la robe d'innocence dont j'ai revêtu ton âme, afin que tu vives désormais de la vie d'un Homme-Dieu ! vivre comme ne vivant plus, afin que je vive parfaitement en toi, ne pensant à ton corps et à tout ce qui t'arrivera comme s'il n'était plus; agissant comme n'agissant plus, mais moi seul en toi. Il faut pour cela que tes puissances et tes sens demeurent ensevelis dans moi et que tu sois sourde, muette, aveugle et insensible à tontes les choses terrestres : vouloir comme ne voulant plus, sans jugement, sans désir, sans affection et sans volonté que celle de mon bon plaisir, qui doit faire toutes tes délices; ne cherchant rien hors de moi, si tu ne veux faire injure à ma puissance
et m'offenser grièvement, puisque je te veux être toutes choses.
« Sois toujours disposée à me recevoir, je serai toujours prêt à me donner à toi, parce que tu seras souvent livrée à la fureur de tes ennemis. Mais ne crains rien, je t'environnerai de ma puissance et serai le prix de tes victoires. Prends garde de ne jamais ouvrir les yeux pour te regarder hors de moi ; et qu'aimer et souffrir à l'aveugle soit ta devise. Un seul coeur, un seul amour, un seul Dieu ! »
Ce qui suit était écrit de son sang : « Moi, chétive, et misérable néant, proteste à mon Dieu me soumettre et sacrifier à tout ce qu'il désire de moi, immolant mon coeur à l'accomplissement de son bon plaisir, sans réserve d'autre intérêt que sa plus grande gloire et son pur amour, auquel je consacre et abandonne tout mon être et tous mes moments.
« Je suis pour jamais à mon Bien-Aimé, son esclave, sa servante et sa créature, puisqu'il est tout à moi, et suis son indigne épouse : Soeur Marguerite-Marie, morte au monde, Tout de Dieu et rien de moi ! Tout à Dieu et rien à moi !Tout pour Dieu et rien pour moi! (1) »
Le 6 novembre 1672, elle s'étendit sous le drap mortuaire — selon le cérémonial de l'Ordre — après avoir prononcé les trois voeux de pauvreté de chasteté et d'obéissance, triple et bienheureuse chaîne qui l'unissait pour jamais au Dieu de son coeur et au Coeur de son Dieu.
Le célébrant venait de lui dire : « Ma Soeur, vous êtes morte au monde et à vous-même, pour ne vivre plus qu'à Dieu (1). » Quel écho ces paroles trouvèrent-elles en son âme ?
Nous allons l'entendre : « Étant donc enfin parvenue au bien tant désiré de la sainte profession, c'est en ce jour que mon divin Maître voulut bien me recevoir pour son épouse, mais d'une manière que je me sens impuissante d'exprimer.
Mais seulement je dirai qu'il me parait et traitait comme une épouse du Thabor ; ce qui m'était plus dur que la mort, ne me voyant point de conformité avec mon Époux, que j'envisageais tout défiguré et déchiré sur le Calvaire.
Mais il me fut dit : — Laisse-moi faire chaque chose en son temps, car je veux que tu sois maintenant le jouet de mon amour, qui se veut jouer de toi selon son bon à plaisir comme les enfants font de leurs poupées ; et faut que tu sois ainsi abandonnée, sans vue ni résistance, me laissant contenter à tes dépens ; mais tu n'y perdras rien. — Il me promit de ne me plus quitter, en me disant : — Sois toujours prête et disposée à me recevoir, car je veux désormais faire ma demeure en toi, pour converser et m'entretenir avec toi (2). »
Là ne se bornèrent pas les faveurs divines, Notre-Seigneur mit alors le sceau à toutes celles
qu'il avait déjà faites à sa servante et voici comment. Immédiatement après le texte que nous venons de citer, elle ajoute : « Et dès lors, il me gratifia de sa divine présence, mais d'une manière que je n'avais encore point expérimentée, car jamais [je] n'avais reçu une si grande grâce, pour les effets qu'elle a opérés toujours en moi depuis. Je le voyais, le sentais proche de moi, et l'entendais beaucoup mieux que si ce fût été des sens corporels, par lesquels j'aurais pu me distraire pour m'en détourner; mais je ne pouvais mettre d'empêchement à cela, n'y ayant rien de ma participation. Cela imprima en moi un si profond anéantissement, que je me sentis d'abord comme tombée et anéantie dans l'abîme de mon néant, d'où je n'ai pu sortir depuis, par respect et hommage à cette grandeur infinie, devant laquelle j'aurais toujours voulu être la face prosternée contre terre ou à genoux : ce que j'ai fait depuis, autant que les ouvrages et ma faiblesse l'ont pu permettre (1). »
Ailleurs, revenant sur cette grâce immense que lui fit Notre-Seigneur, la Sainte écrit ces mots : « Il me dit que je ne devais rien craindre, parce qu'il me promettait une des plus grandes grâces qu'il eût jamais [faites] à aucun de ses amis, qui était de me gratifier de sa présence actuelle et continuelle (2). »
Puis Notre-Seigneur l'avertit comment il la punira de ses fautes : « Lorsque tu feras des fautes, je les purifierai par les souffrances, si tu ne le fais par la pénitence et je ne te priverai point de ma présence pour cela, mais je te la rendrai si douloureuse qu'elle tiendra lieu de tout autre supplice.
« — Et dans ce moment, il effectua si bien sa promesse qu'il m'était toujours présent. Et je le sentais toujours proche de moi, comme si l'on était proche de quelqu'un que les ténèbres de la nuit empêcheraient de voir des yeux du corps. Mais la vue perçante de l'amour me le fit voir et sentir d'une manière bien plus aimable et certaine et de différentes manières (1). »
« Je ne me souciais plus ni du temps ni du lieu, depuis que mon Souverain m'accompagnait partout, » lisons-nous dans l'Autobiographie. « Je me trouvais indifférente à toutes les dispositions que l'on pût faire de moi; étant bien sûre que, s'étant ainsi donné à moi sans aucun mien mérite de ma part, mais par sa pure bonté, et que, par conséquent on ne me le pourrait pas ôter, cela me rendait contente partout (2). »
elle recueillit la myrrhe des souffrances et des humiliations. Jamais cependant elle ne se sentait rassasiée de ce côté-là.
Nommée d'abord aide à l'infirmerie, elle confesse ingénument que Dieu seul peut connaître ce qu'elle y eut à souffrir, tant de la part de mon naturel prompt et sensible, » écrit-elle, « que de celle des créatures et du démon, lequel me faisant souvent tomber et rompre tout ce que je tenais entre les mains, et puis se moquait de moi, en me riant quelquefois au nez : — Oh la lourde ! tu ne feras jamais rien qui vaille ! — Ce qui jetait mon esprit dans une tristesse et abattement si grand que je ne savais que faire, car souvent il m'ôtait le pouvoir de le dire à notre Mère, parce que l'obéissance abattait et dissipait toutes [ses] forces (1). »
En revanche, les communications entre Jésus-Christ et cette âme sont incessantes. Mais il faut avouer qu'elles se passent sur un terrain bien, différent de celui où nous vivons habituellement. Un jour, après la sainte communion, Notre-Seigneur
daigna demander à Soeur Marguerite-Marie de lui réitérer le sacrifice qu'elle lui avait déjà fait de sa liberté et de tout son être. « Ce que je fis de tout mon Coeur, pourvu, lui dis-je, ô mon souverain Maître, que vous [ne] fassiez jamais rien paraître en moi d'extraordinaire, que ce qui me pourra le plus causer d'humiliation et d'abjection devant les créatures et me détruire dans leur estime : car hélas ! mon Dieu, je sens ma faiblesse, je crains de vous trahir et que vos dons ne soient pas en sûreté dans moi. — Ne crains rien, ma fille, me dit-il, j'y mettrai bon [ordre], car je m'en rendrai le gardien moi-même et te rendrai impuissante à me résister. — Eh quoi ! mon Dieu, me laisserez-vous toujours vivre sans souffrir? (1) » — Alors Notre-Seigneur lui montra une grande croix toute couverte de fleurs, l'assurant que ces fleurs tomberaient peu à peu et qu'il ne lui resterait que les épines. Ce lui fut une annonce qui ravit son âme, au lieu de l'effrayer.
Une veille de communion, je demandai à mon Jésus d'unir mon coeur au sien, puisque c'était là toute ma prétention. Et, me disant comme se pourrait-il faire d'unir le néant au Tout. — Je sais que cela ne se peut que par votre amour. — Et, me faisant voir par la suprême pointe de l'entendement ce beau Coeur plus éclatant qu'un soleil et d'une infinie grandeur et un petit point qui ne semblait qu'un atome et qui était tout noir et défiguré, mais qui faisait tous ses efforts pour s'approcher de cette belle lumière ; mais c'était en vain, si ce Coeur amoureux ne l'eût attiré lui-même en disant: — Abîme-toi dans ma grandeur et prends garde de n'en jamais sortir, parce que, si tu en sors, tu n'y rentreras plus. — Et je trouve mon coeur tellement lié à l'oraison, que je suis quelquefois comme si je n'en avais plus de jouissance, et dans une paix si grande que je n'ai d'autre inquiétude que de [ne] pas aimer mon Dieu et que je n'emploie pas bien mon temps en l'exercice de son saint amour. Et m'imaginant quelquefois que c'était le démon qui me tenait ainsi, je disais à Dieu : — Faites-moi connaître les ruses du démon, afin que je les évite! — Mais, mon Bien-Aimé m'a fait entendre que le démon ne pouvait connaître (49) l'intérieur, que lorsque l'on en donnait quelque signe extérieur, et qu'il ne pouvait donner la paix à un coeur (1). »
Soeur Marguerite-Marie était sujette à des extinctions de voix qui l'empêchaient de chanter l'office, ce qui lui était fort sensible. La veille de la Visitation, Ier juillet 1673, il y avait déjà longtemps qu'elle subissait cette privation, qu'elle regardait comme un châtiment. Ayant fait de vains efforts pour essayer de suivre le choeur au début des matines et ne pouvant y réussir, elle s'anéantit dans le sentiment de l'adoration. Tout à coup, pendant le Te Deum, tandis qu'elle tenait ses bras modestement croisés dans ses manches, une divine lumière vint s'y reposer sous la figure d'un petit enfant éclatant comme un soleil. Transportée d'un tel spectacle, elle dit, « dans un profond silence : — Mon Seigneur et mon Dieu, [par] quel excès d'amour abaissez-vous ainsi votre grandeur infinie ? — Je viens, ma fille, te demander pourquoi tu me dis si souvent de ne me point approcher de toi ?
— Vous le savez, ó mon Souverain, que c'est que je [ne] suis pas digne de m'approcher de vous, et bien moins de vous toucher. — Apprends que, plus tu te retires dans ton néant, plus ma grandeur s'abaisse pour te trouver. » Craignant que ce ne fût un ange de Satan, l'humble Marguerite s'écria:
« Si c'est vous, ô mon Dieu, faites donc que je chante vos louanges! » A l'heure même, la voix lui revint, plus libre et
plus forte que jamais. L'heureuse privilégiée poursuivit le chant du Te Deum avec le choeur, et le reste des matines se passa ainsi, sans que toutes les caresses que lui prodiguait alors le divin Enfant la détournassent un instant de l'attention respectueuse qu'elle devait au saint office. Notre-Seigneur l'en bénit, disant : « J'ai voulu éprouver le motif dont tu récites mes louanges ; car si tu te fusses tenue un peu moins attentive à les dire, je me serais retiré. —
« Ayant gardé ma voix assez longtemps, » poursuit-elle, « je la perdis une seconde fois et, l'ayant demandée à Notre-Seigneur, il me fut répondu qu'elle n'était pas à moi, et qu'il me l'avait prêtée pour m'obliger à croire, et que je devais demeurer contente en la perdant comme en la possédant et j'en suis demeurée depuis a dans l'indifférence (1). » C'est qu'elle ne trouvait rien de plus profitable à une âme que ce parfait abandon pour toutes choses (2). »
Cette maxime, elle la tenait de Notre-Seigneur lui-même, car il lui avait donné à entendre que c'était à elle à se soumettre indifféremment à tous lés vouloirs de son Dieu, sans se mêler de lui donner des lois, et il avait ajouté : « Je te ferai comprendre dans la, suite que je suis un sage et savant directeur, qui sais conduire les âmes sans danger, lorsqu'elles s'abandonnent à moi en s'oubliant d'elles-mêmes (3). » Et il réprimait en celle-ci jusqu'à l'ombre d'une imperfection.
Qu'il suffise de dire que, de jour en jour, Notre-Seigneur lui faisait faire un pas de plus dans le sublime et mystérieux sentier qui devait la conduire aux grandes révélations du Sacré Coeur.
Déjà, il le lui manifestait, ce Coeur divin, et bien que ce ne fût encore que d'une manière qui dût lui rester intime et personnelle, Marguerite-Marie n'en commençait pas moins à se sentir consumée du désir de publier partout l'amour du Coeur de son Dieu.
Un jour, une voix intérieure lui disait sans cesse qu'elle était sur le bord d'un précipice. Ne comprenant pas comment se l'expliquer à elle-même, elle confie sa peine à Notre-Seigneur : « Unique Amour de mon âme, faites-moi connaître ce qui m'inquiète! » A l'oraison, Notre-Seigneur se présente à elle tout couvert de plaies, lui disant de regarder l'ouverture de son sacré Côté, qui était un. abîme sans fond, creusé par une flèche sans mesure, celle de l'amour. Si elle voulait éviter l'abîme qu'elle se plaignait de ne pouvoir connaître, il fallait se perdre dans celui-ci, car c'était la demeure de ceux qui l'aiment.
L'âme y rencontre la source des eaux vives pour se purifier et recevoir en même temps la vie de la grâce, que le péché lui avait ôtée.
Le coeur y trouve une fournaise d'amour qui ne le laisse plus vivre que d'une vie d'amour (1).
Un autre jour, Soeur Marguerite-Marie, sentant son âme plongée dans une sorte d'agonie, Notre-Seigneur l'honora de sa visite et lui dit : « Entre, ma fille, dans ce parterre délicieux, pour ranimer ton âme languissante. »
Elle comprit qu'il parlait de son sacré Coeur, « dont la diversité des fleurs était autant aimable que leur beauté était admirable ».
Mais comme elle n'osait les toucher, il l'y invita par ces mots : « Tu en peux cueillir à ton gré. » Alors, se jetant à ses pieds, elle s'écria : « O mon divin Amour, je n'en veux point d'autre que vous, qui m'êtes un bouquet de myrrhe, que je veux porter continuellement entre les bras de mes affections. — Tu as bien su choisir, me dit-il ; car toutes les autres fleurs sont passagères et ne peuvent longtemps durer en cette vie mortelle sans se flétrir. Il n'y a que la myrrhe que tu choisis qui puisse conserver sa beauté et son odeur et cette vie est sa saison : il n'y en a point dans l'éternité (2). »
mon Bien-Aimé se présenta devant moi : — Je te veux faire lire dans le livre de vie, où est contenue la science d'amour. — Et me découvrant son sacré Coeur, il m'y fit lire ces paroles : — Mon amour règne dans la souffrance, il triomphe dans l'humilité et il jouit dans l'unité ; — ce qui s'imprima si fort dans mon esprit que je n'en ai jamais perdu la mémoire (2). »
Le 4 octobre, fête de saint François d'Assise, Dieu donnait ce séraphique patriarche pour conducteur spécial à Soeur Marguerite-Marie, après lui avoir montré la gloire incomparable dont il jouit au ciel et lui avoir dit que c'était « un des plus grands favoris de son sacré Coeur. » Marqué des sacrés stigmates, amant passionné de la pauvreté, ne voulant connaître que Jésus-Christ crucifié, François avait été sur la terre une vivante image du Sauveur du monde. A cause de cela, il avait désormais un grand pouvoir au ciel, pour obtenir aux âmes l'application efficace des mérites du précieux Sang. Il semble que ses mains percées fussent plus dignes d'être comme le canal par lequel ce Sang adorable voulait couler sur les pécheurs. François d'Assise était aussi un puissant avocat pour les Ordres religieux déchus de leur première ferveur. Notre-Seigneur dit à sa servante que
c'était comme gage de son divin amour qu'il lui donnait un tel protecteur, pour la conduire dans ses peines et souffrances (1).
Plus Notre-Seigneur s'incline vers elle, plus c'est pour l'initier aux inénarrables douleurs de son Coeur divin. La Sainte méditait un jour sur l'agonie du Sauveur au jardin des Oliviers, et se sentait fort pressée du désir de participer aux angoisses du Dieu fait Homme.
Il l'exauça. « C'est ici où j'ai plus souffert intérieurement qu'en tout le reste de ma Passion, » lui dit-il, « me voyant dans un délaissement général du ciel et de la terre, chargé de tous les péchés des hommes. « J'ai paru devant la sainteté de Dieu, qui, sans avoir égard à mon innocence, m'a froissé en sa fureur, me faisant boire le calice qui contenait tout le fiel et l'amertume de sa juste indignation, et comme s'il eût oublié le nom de Père pour me sacrifier à sa juste colère. Il n'y a point de créature qui puisse comprendre la grandeur des tourments que je souffris alors. C'est cette même douleur que l'âme criminelle ressent lorsqu'étant
présentée devant le tribunal de la .sainteté divine, qui s'appesantit sur elle, la froisse et l'opprime, et l'abîme en sa juste rigueur. »
Continuant ses adorables confidences, Notre-Seigneur ajouta : « Ma justice est irritée et prête de punir, par des châtiments manifestes, des pécheurs cachés, s'ils ne font pénitence ; et je te veux faire connaître lorsque ma justice sera prête à lancer ses coups sur ces têtes criminelles. Ce sera lorsque tu sentiras appesantir ma sainteté sur toi, qui dois élever ton coeur et tes mains au ciel, par prières et bonnes oeuvres, me présentant continuellement à mon Père, comme une victime d'amour, immolée et offerte pour les péchés de tout le monde, me mettant comme un rempart et un fort assuré entre sa justice et les pécheurs (1). »
elle sentit la main de Dieu se poser sur elle.
Voici en quelle manière : « Les deux ou trois premiers jours, cette sainteté divine s'appesantit et s'imprima si fort en moi, qu'elle me rendait incapable de faire l'oraison et de supporter la douleur intérieure que je sentais, si la même puissance qui me faisait souffrir ne m'avait soutenue, car je sentais un désespoir et douleur si grande de paraître devant mon Dieu, que j'aurais voulu mille fois m'abîmer, me détruire et m'anéantir, s'il avait été à mon pouvoir, tant je me sentais indigne de paraître devant cette divine présence, dont je ne me pouvais retirer, d'autant qu'elle me poursuivait partout comme une criminelle qui était prête à recevoir sa condamnation; mais avec une soumission si grande au divin vouloir de mon Dieu, que je suis toujours disposée à recevoir toutes les peines, douleurs qu'il lui plaira m'envoyer, et avec même amour et contentement que je ferais la suavité de son amour (1). »
Souffrir de la part des créatures, c'est souvent bien amer pour une nature délicate... Mais souffrir de la part du Créateur lui-même, c'est une peine d'une acuité bien autrement pénétrante. Job accusait le Seigneur de le tourmenter merveilleusement (2). Marguerite-Marie ressentait ce tourment divin, lorsqu'elle voyait s'appesantir sur elle ce qu'elle nomme les deux saintetés de Dieu : sainteté d'amour, sainteté de justice. En portant le poids de la sainteté d'amour, la Servante de Dieu devait expier pour les âmes du purgatoire. Le poids de la sainteté de justice devait surtout la faire souffrir pour les pécheurs et particulièrement pour
les âmes consacrées à Dieu, « pour lesquelles, » lui dit un jour son Époux céleste, « je te ferai
voir et sentir dans la suite ce qu'il te conviendra souffrir pour mon amour (1). »
Mais il faut l'entendre elle-même décrire les opérations de cet amour en elle. De tels accents ne sont pas de la terre.
« Une autre fois, ce Souverain de mon âme me dit : — Je te veux être toute chose, ta joie et ta consolation, mais je serai aussi ton supplice. — Je connus l'effet de ces paroles.
Entre ses perfections divines, celle qui devait effectuer ses promesses, qui était sa sainteté d'amour et de justice, je confesse qu'il est difficile à une créature d'en exprimer les effets, n'ayant jamais rien senti de si douloureux que cette sainteté de justice, qui s'imprime dans l'âme d'une manière si terrible qu'elle voudrait se précipiter dans toutes les peines imaginables et s'immoler à souffrir celle des damnés, plutôt que de paraître devant la sainteté de Dieu avec un seul péché. L'âme ressemble à une huile bouillante qui pénètre jusqu'à la moelle des os et rend le corps si insensible à toutes autres douleurs qu'elles lui semblent plutôt un rafraîchissement qu'une souffrance. Ce que je trouve de plus rigoureux, c'est la présence de mon Souverain, lorsqu'il m'en favorise en cet état. Il donne des impressions de sa pureté, qu'il est impossible à l'âme de se supporter, se voyant
dans un état si abominable. Elle voudrait pouvoir fuir et se cacher, mais c'est en vain. Ce Dieu plein d'amour prend plaisir de la voir en cet état, lui fait trouver partout ce qu'elle fuit. Ce n'est pas qu'elle voulût, pour quoi que ce soit, perdre la vue de soif Bien-Aimé, en faisant aucune action qui [lui] pût déplaire. Elle souffrirait mille morts à la vue de son indignité. Elle dit souvent avec saint Pierre : — Retirez-vous de moi, car je suis une pécheresse. — Bien loin de désirer d'être délivrée de cet état souffrant, j'aurais voulu, à chaque moment, voir augmenter mes peines.
La sainteté d'amour ne cause guère moins de souffrance, à la réserve que toutes ces peines donnent à l'âme des mouvements de joie et de contentement si grands, qu'il n'est pas moins difficile de les exprimer. Elle donne à l'âme un désir [si] ardent d'être unie à Dieu, qu'elle n'a de repos ni jour ni nuit, car le lit et la table lui semblent un gibet où elle ne va que pour se crucifier ; les conversations font son supplice. Dieu se faisant voir incessamment à l'âme et lui découvrant les trésors dont il l'enrichit, et l'aident amour qu'il a pour elle et le peu de correspondance qu'elle a, son amour la presse si vivement de l'aimer, qu'il n'y a que le divin auteur de ces opérations qui puisse exprimer ce que c'est. Alors, l'âme n'a plus d'intérêts ni de désirs et d'empressements que pour son unique Amour ; le reste lui semble superflu ou inutile (1). »
Les avertissements divins se multipliaient. Un jour, elle croit entendre ces paroles : « Le Seigneur se lasse d'attendre, il veut entrer dans ses greniers pour cribler son froment et séparer le bon grain d'avec le chétif. » Toutefois, elle ne s'arrête pas à cette pensée et cherche au contraire à s'en détourner, comme d'une distraction. Mais de nouveau la sainteté de Dieu s'appesantit sur elle et une voix toute-puissante se fait entendre, disant : « Mon peuple choisi me persécute secrètement et ont irrité ma justice! Mais je manifesterai ses péchés secrets par des châtiments visibles, car je les criblerai dans le crible de ma sainteté, pour les séparer d'avec mes bien-aimés. » Et, lui découvrant son Coeur tout déchiré et transpercé de coups, le Sauveur ajouta : « Voilà les blessures que je reçois de mon peuple choisi. Les autres se contentent de frapper sur mon corps; mais ceux-ci attaquent mon Coeur, qui n'a jamais cessé de les aimer (1). »
Et, une autre fois, se présentant encore à elle sous un aspect plus sanglant, son Coeur sacré paraissant navré de douleur : «Voilà l'état où me réduit mon peuple choisi, que j'avais destiné pour apaiser ma justice et il me persécute secrètement. S'il ne s'amende, je les châtierai sévèrement; je retirerai mes justes et j'immolerai
le reste à ma juste colère, qui s'embrasera contre eux. » Fidèle à ce que lui avait enseigné son Bien-Aimé, Marguerite-Marie conclut en disant: « Je lui présentai son amour souffrant, dont un des regards était capable d'apaiser son courroux (1). »
La sainte communion m'était si douloureuse qu'il me serait difficile d'exprimer la peine que je sentais en m'en approchant, bien qu'il ne me fût pas permis de m'en retirer, puisque c'était lui-même qui me faisait souffrir cet état, me défendant même de m'en éloigner. Je pouvais dire avec le prophète que mes larmes me servaient de pain nuit et jour. Le saint Sacrement, qui était tout mon refuge, me traitait avec tant d'indignation que j'y souffrais une espèce d'agonie, et je n'y pouvais demeurer qu'en me faisant une extrême violence. Et si, hors les temps d'obligation, je m'en allais me présenter devant elle (2), en disant : — Où voulez-vous que j'aille, ô divine justice, puisque vous m'accompagnez partout ? — j'entrais et sortais sans savoir ce que je devais faire, et sans trouver de repos que celui de la douleur (3). »
Un jour, comme Notre-Seigneur lui prescrivait
certaines prières et pratiques, elle lui répondit simplement : « Mon Seigneur, vous savez que je ne suis point à moi et que je ne ferai que ce que ma supérieure m'ordonnera. — Je ne l'entends pas autrement, » reprend-il, « car, tout-puissant que je suis, je ne veux rien de toi qu'avec la dépendance de ta supérieure. Écoute bien ces- paroles de la bouche de la vérité
Tous religieux séparés et désunis de leurs supérieurs se doivent regarder comme des vases de réprobation, dans lesquels toutes les bonnes liqueurs sont changées en corruption, sur lesquelles le divin Soleil de justice, venant à darder, opère le même effet que le soleil luisant sur la boue. Ces âmes sont tellement rejetées de mon Coeur, que, plus elles tâchent d'en approcher par le moyen des sacrements, oraison et autres exercices, plus je m'éloigne d'elles pour l'horreur que j'en ai (1). »
La leçon était poignante. Mais elle ne visait point l'âme très obéissante qui se l'appropriait pourtant si humblement, bien qu'elle n'eût besoin de la retenir que pour la répéter aux autres. En lui disant personnellement à elle-même : « J'aime l'obéissance et sans elle on ne me peut plaire (2). » Notre-Seigneur savait que c'en était assez pour l'attacher irrévocablement à cette vertu des parfaits.
L'âme de Marguerite-Marie ne peut pas plus vivre hors de Dieu, que notre être humain ne peut
vivre hors de l'air qu'il respire. Son élément à elle, c'est « la plénitude de Dieu. » Elle est parfois sublime lorsqu'elle expose ce qu'elle ressent « Mon Bien-Aimé a consommé en lui tous mes désirs, ne m'en ayant laissé que celui de me rendre une pure capacité de son divin amour, et il ne m'a laissé aucune crainte que celle du péché... Comme toute chose n'a de repos que dans son centre, et que chacun cherche ce. qui lui est propre, mon coeur, tout abîmé dans son centre, qui est le Coeur humble de mon Jésus, a une soif inaltérable des humiliations et mépris et d'être oublié de toutes les créatures, ne me trouvant jamais plus satisfaite que lorsque je suis conforme à mon Époux crucifié. C'est ce qui me fait aimer mon abjection plus que ma vie, tenant serré sur ma poitrine ce trésor précieux, comme un gage de l'amour de mon Bien-Aimé, qui ne me doit jamais quitter un seul moment (1). » .
« Lorsque je m'éveille, il me semble trouver a mon Dieu présent, auquel mon coeur s'unit comme à, son principe et sa seule plénitude. C'est ce qui me donne une soif si ardente d'aller devant le saint Sacrement, que les moments que je demeure à m'habiller me durent des heures, et je me sens une douleur si vive et si pressante que je me sens liée et serrée si fortement qu'il m'est impossible d'y résister. je m'en vais comme une malade languissante, me présenter à mon médecin
tout-puissant, hors duquel je ne peux trouver de repos ni de soulagement.... je me tiens à
ses pieds comme une hostie vivante, qui n'a d'autre désir que de lui être immolée et sacrifiée, pour me consommer comme une holocauste (1) dans les pures flammes de son amour, où je sens mon coeur se perdre comme dans une fournaise ardente.
Il me semblé que mon esprit s'éloigne de moi, pour s'aller perdre dans l'immense grandeur de Dieu, sans qu'il soit à mon pouvoir de l'appliquer à mon point d'oraison, mais seulement il se contente de cet unique objet. Mon entendement demeure dans un aveuglement si grand, qu'il n'a aucune lumière ni connaissance que celle que ce divin Soleil de justice lui communique de temps en temps, dont je n'ai d'autre impression ni mouvement que celui de l'aimer, dont je me sens quelquefois si pressée que je voudrais donner ma vie mille fois, pour lui témoigner le désir que j'ai de l'aimer. Et c'est en ce temps que j'emploie toutes mes forces pour l'embrasser, ce Bien-Aimé de mon âme; mais ce n'est pas des bras du corps, mais des intérieurs, qui sont les puissances de mon âme... »
Elle cherche à exprimer davantage encore ce qu'elle éprouve, puis elle dit : « Voilà les plus ordinaires occupations de mon oraison, non pas que je fais, mais que mon Dieu fait en moi, sa chétive créature, puisque j'en sors le plus souvent sans
savoir ce que j'y ai fait, ni sans faire aucune résolution, demande, ni offrande, que celle de mon Jésus à son Père éternel, en cette sorte : — Mon Dieu, je vous offre votre Fils bien-aimé pour mon action de grâces pour tous les biens que vous me faites, pour ma demande, mon offrande, pour mon adoration et pour toutes mes résolutions, et enfin je vous l'offre pour mon amour et mon tout. Recevez-le, Père éternel, pour tout ce que vous désirez que je vous rende, puisque je n'ai rien à vous offrir qui ne soit indigne de vous, sinon Celui dont vous me donnez la jouissance avec tant d'amour (1). »
Cette vraie humble était toujours un livre ouvert pour ses supérieures. Elle leur rapportait donc tout ce qui se passait en elle, « quoique souvent, » avoue-t-elle, « je ne comprenais ce que je leur disais (2). » Trop élevées dans les voies spirituelles, pour ne pas savoir que Dieu est libre de se communiquer à qui il lui plaît et comme il lui plaît, la Mère de Saumaise et la Soeur Thouvant n'en sont pas moins perplexes, en voyant ce qui arrive à la Soeur Alacoque. La prudence religieuse les oblige, au moins, à prémunir cette jeune professe contre tout sentiment de vaine complaisance, s'il en eût été besoin. Elles la préviennent que ces voies extraordinaires ne sont pas propres aux filles de Sainte-Marie, et elles s'appliquent à détruire, autant qu'elles peuvent, toutes ces opérations surnaturelles
dans leur fidèle disciple. Celle-ci se soumet, suivant exactement tout ce que l'obéissance lui ordonne pour. se retirer de cette puissance supérieure qui l'envahit et l'entraîne. Mais tout est inutile... Rien de plus touchant ni de plus beau que le dialogue qui s'établit alors entre Soeur Marguerite-Marie et son unique Amour :
« Et je me plaignais à lui : — Eh quoi ! lui disais-je, ô mon Souverain Maître, pourquoi ne me laisser dans la voie commune des filles de Sainte-Marie ? M'avez-vous amenée dans votre sainte maison pour me perdre ? Donnez ces grâces extraordinaires à ces âmes choisies, qui y auront plus de correspondance et vous glorifieront plus que moi, qui ne vous fais que des résistances. Je ne veux rien que votre amour et votre croix, et cela me suffit. pour être une bonne religieuse, qui est tout ce que je désire. » Et Notre-Seigneur reprenait : « Combattons, ma fille, j'en suis content, et nous verrons lequel remportera la victoire : du Créateur ou de sa créature, de la force ou de la faiblesse, du Tout-Puissant ou de l'impuissance ; mais celui qui sera vainqueur le sera pour toujours (1). »
Et le Créateur triompha ! Et, de cette âme qui ne demandait qu'à être « une bonne religieuse, » il fit une sainte, dont il voulut avoir besoin, pour réaliser extérieurement le dernier effort de la charité divine envers les hommes !
Nous touchons à l'heure marquée de toute éternité
pour cette oeuvre de la régénération du monde par le Sacré Coeur. L'instrument qui doit y coopérer a été dégagé de tout alliage terrestre. Le Seigneur peut s'en emparer et s'en servir: Marguerite-Marie est prête !
Suite !! http://efforts.e-monsite.com/pages/revelations-du-sacre-coeur.html