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MARIAGES MYSTIQUES ?? IL EXIGEAIT DE MOI CET ECRIT ! PèRE DOMINICAIN ! L'ESPRIT DES TéNèBRES PEUT SE TRANSFIGURER EN ANGE DE LUMIèRE !?

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Manuscrit Autobiographique
de Sainte Thérèse d'Avila
carmélite réformatrice, docteur de l'église
(1512-1582)

En l'écrivant, j'obéis à mes confesseurs; je me rends aussi, je le sais, à la volonté du divin Maître, qui depuis longtemps exigeait de moi cet écrit.

les noces spirituelles célébrée avec vous. Je ne puis en parler sans verser des larmes, mais ce devraient être des larmes de sang; mon cœur devrait se fendre de regret, et ce ne serait pas trop pour effacer tant d'offenses commises depuis ce jour. Il me semble maintenant que j'avais raison de ne pas vouloir aspirer à une si grande dignité, puisque je devais si mal en user. Pendant près de vingt ans, vous avez souffert une infidèle, et vous avez voulu être l'offensé pour que je sois la privilégiée. Ne dirait-on pas, ô mon Dieu! que je n'avais juré que de trahir tous mes serments? Sans joute, une telle intention n'était pas alors dans mon âme; mais, hélas! à voir les oeuvres qui suivirent, je .ne sais plus qu'en penser. Du moins, ô mon Époux! cette infidélité servira à faire mieux connaître qui vous êtes et qui je suis.

Malgré tant de bonheur, ma santé ne résista point au changement de vie et de nourriture.

Notre-Seigneur, non content des délices qu'il m'avait fait savourer, daigna m'élever à l'oraison de quiétude, et quelquefois même jusqu'à celle d'union. L'une et l'autre m'étaient inconnues; j'ignorais leur nature et leur prix; il m'eût été cependant très utile d'en avoir une connaissance exacte. A la vérité, cette union ne durait que très peu, je ne sais même si c'était le temps d'un Ave Maria, mais les effets que j'en ressentais étaient étonnants. Je n'avais pas vingt ans encore, et je foulais, ce me semble, sous les pieds le monde vaincu.

Je tâchais, au que je le pouvais, de considérer Jésus-Christ notre bien et notre maître comme présent au fond de mon âme.

Mais sa tactique fut si subtile et moi si faible, que toutes mes résolutions me servirent peu: cependant, aux jours de ferveur, elles me furent d'un secours immense pour supporter, avec cette inaltérable patience que le Seigneur me donna, les effrayantes maladies que j'eus à souffrir.

Quelque défectueuses et imparfaites que fussent mes oeuvres, mon divin Maître daignait les améliorer, les perfectionner, leur donner de la valeur. Quant à mes fautes et à mes péchés, il se hâtait de les couvrir d'un voile 

 Le premier qui commença à me détromper sur certains points fut un religieux très savant de l'ordre de Saint-Dominique [19]. Enfin les Pères de la Compagnie de Jésus m'inspirèrent les plus vives craintes sur toute ma vie, en me montrant, comme je le raconterai plus loin, le mal et la gravité de ces débuts.

Comme alors mon âme goûtait habituellement en Dieu d'enivrantes délices, mon plus doux plaisir était de parler de lui. A un tel langage, dans une personne si jeune encore, il se sentait pénétré de confusion. Enfin, poussé par la confiance que je lui inspirais, il commença à me découvrir l'état de son âme, qui était déplorable et des plus dangereux. Depuis près de sept ans il entretenait une affection et des relations coupables avec une femme de l'endroit, et il ne laissait pas de dire la messe. La chose était si publique qu'il était perdu d'honneur et de réputation; personne cependant n'osait le blâmer en face. Ses aveux me remplirent de compassion, car son dévouement pour moi me l'avait rendu cher. Victime alors d'une inexpérience trop naïve et trop aveugle, je regardais comme vertu de répondre par la reconnaissance et par un retour d'affection à l'amitié qu'on avait pour moi. Maudite soit la loi d'un tel retour, qui va jusqu'à être contraire à la loi de Dieu! C'est là une folie qui a cours dans le monde, et j'avoue qu'elle me met toute hors de moi quand j'y pense. Quoi! c'est à Dieu seul qu'est dû tout le bien qu'on nous fait, et nous regardons comme vertu de ne pas briser les liens d'une amitié qui lui déplait! 0 aveuglement du monde! Et vous, Seigneur, quelle grâce vous m'auriez faite, si, souverainement ingrate envers ce monde tout entier, j'avais eu le bonheur de ne l'être jamais envers vous! Mais à cause de mes péchés, le contraire est arrivé.

Je restai trois mois dans cet endroit, en proie à de très grandes souffrances, parce que le traitement était trop rigoureux pour ma complexion. Au bout de deux mois, à force de remèdes, il ne me restait plus qu'un souffle de vie. Le mal dont j'étais allée chercher la guérison était devenu beaucoup plus cruel; les souffrances que j'éprouvais au cœur étaient si vives, qu'il me semblait parfois qu'on me le déchirait avec des dents aiguës; l'intensité de la douleur arriva à tel point, qu'on craignit que ce ne fût de la rage. Ma faiblesse était extrême; l'excès du dégoût ne me permettait de rien prendre, si ce n'est du liquide. La fièvre ne me quittait pas; et des médecines, que pendant un mois on m'avait fait prendre, m'avaient épuisée. Je sentais un feu intérieur qui m'embrasait. Les nerfs se contractèrent, mais avec des douleurs si intolérables, que je ne trouvais ni jour ni nuit un instant de repos. A cela venait encore se joindre une profonde tristesse. Voilà ce que je gagnai dans ce voyage. Mon père se hâta de me ramener chez lui. Les médecins me virent de nouveau; ils désespérèrent de moi, déclarant qu'indépendamment de tous ces maux, je me mourais d'étisie.

Insensible à l'arrêt qu'ils venaient de prononcer, j'étais absorbée par le sentiment de la souffrance. Des pieds jusqu'à la tête, j'éprouvais une égale torture. De l'aveu des médecins, ces douleurs de nerfs sont intolérables; et comme chez moi leur contraction était universelle, j'étais livrée à un indéfinissable tourment. Quelle riche moisson de mérites si j'avais su en profiter!

Le divin Maître m'avait, ce semble, fortifiée à l'avance par cette lecture et par l'oraison, à laquelle j'avais commencé à m'adonner; il m'avait ainsi préparée à tout souffrir avec une résignation parfaite. Mes entretiens n'étaient qu'avec lui. J'avais ces paroles de Job, habituellement présentes à l'esprit, et je me plaisais à les redire: Puisque nous avons reçu les biens de la main du Seigneur, pourquoi n'en recevrions-nous pas les maux? Et à ces paroles, je sentais, ce me semble, se renouveler mon courage.

Ce long martyre s'était déjà prolongé depuis le mois d'avril jusqu'au milieu d'août, plus douloureux cependant les trois derniers mois. Enfin, le jour de l'Assomption de Notre-Dame arriva [

On me donna, dans cet état, l'extrême-onction. A toute heure, ou plutôt à tout moment, on croyait que j'allais expirer, et l'on ne faisait que me dire le Credo, comme si j'eusse été capable d'entendre quelque chose. Plus d'une fois même on ne douta plus que je n'eusse exhalé mon dernier soupir; et quand je revins à moi, je trouvai sur mes paupières de la cire, tombée d'un flambeau.

De ces quatre jours d'effroyable crise, il me resta des tourments intolérables, qui ne peuvent être connus que de Dieu. Ma langue était en lambeaux, à force de l'avoir mordue. N'ayant rien pris dans tout cet intervalle, faible d'ailleurs à me sentir étouffer, j'avais le gosier si sec qu'il se refusait à laisser passer même une goutte d'eau. Tout mon corps était comme disloqué, et ma tête dans un désordre étrange. Mes nerfs s'étaient tellement contractés, que je me voyais en quelque sorte ramassée en peloton. Voilà où me réduisirent ces quelques jours d'indicible douleur. Je ne pouvais, sans un secours étranger, remuer ni bras, ni pied, ni main, ni tête; aussi immobile que si j'eusse été morte, j'avais seulement, me semble-t-il, la force de mouvoir un doigt de la main droite. On ne savait comment m'approcher: tout mon corps était dans un état si lamentable, que je ne pouvais supporter le contact d'aucune main; il fallait me remuer à. l'aide d'un drap que deux personnes tenaient chacune par un bout. Je restai ainsi jusqu'à Pâques-Fleuries [21]. Par bonheur, lorsqu'on me laissait tranquille, les douleurs venaient souvent à cesser. Un peu de repos goûté était alors, à mes yeux, un grand pas vers la guérison. Je craignais que la patience ne vînt à m'échapper. Grande fut donc ma joie quand je me vis délivrée de douleurs si aiguës et si continuelles. Par intervalles, j'en éprouvais néanmoins encore d'insupportables: c'était quand une fièvre double-quarte très violente, qui m'était restée, faisait sentir ses frissons. Je gardais aussi un profond dégoût pour toute sorte d'aliments.

il ne me restait que les os. Cet état, comme je l'ai dit, se prolongea plus de huit mois. Pendant près de trois ans, je demeurai frappée d'une paralysie, qui allait, il est vrai, s'améliorant chaque jour. Lorsque à l'aide de mes mains je commençai à me traîner par terre, j'en rendis au Seigneur des actions de grâces.

Notre-Seigneur, dont la bonté est infinie, ne saurait cesser de favoriser de si dignes épouses.

Quittant le monde pour en éviter les dangers, et pleines de l'espoir qu'elles vont servir le Seigneur, au lieu d'un monde, les infortunées en rencontrent dix; elles ne savent plus ni comment vaincre, ni où trouver un appui. La jeunesse, la sensualité, le démon, les convient et les inclinent à certains actes d'une vie réellement mondaine, et qui, là, passent pour être en quelque sorte du domaine de là vertu.

 

Comme je m'entretenais un jour avec une personne dont je venais de faire la connaissance, Notre-Seigneur daigna m'éclairer dans mon aveuglement: par un avis et un rayon intérieur de lumière, il me fit comprendre que de telles amitiés ne me convenaient pas. Ce divin Maître m'apparut avec un visage très sévère, me témoignant par là combien ces sortes d'entretiens lui causaient de déplaisir. Je le vis des yeux de l'âme, beaucoup plus clairement que je n'eusse pu le voir des yeux du corps. Son image se grava si profondément dans mon esprit, qu'après plus de vingt-six ans je la vois encore peinte devant mes yeux. L'effroi et le trouble me saisirent, je ne voulais plus voir cette personne.

Un grand mal pour moi, dans cette circonstance, fut d'ignorer que l'âme pût voir sans l'intermédiaire des yeux du corps. Le démon, pour me confirmer dans cette ignorance, me faisait entendre que c'était une chose impossible. il me représentait ma vision comme une tromperie ou un artifice de l'esprit de ténèbres, et mettait en avant d’autres mensonges de ce genre. Il me restait néanmoins toujours un secret sentiment que ma vision venait de Dieu et n'était pas une illusion. Mais comme elle ne flattait pas mon goût, je travaillais moi-même à me tromper. Je n'osai m'en ouvrir à qui que ce fût. Bientôt on me pressa de revoir une personne d'un aussi grand mérite; de tels rapports, m'assurait-on, loin de nuire à mon honneur, ne pouvaient que lui donner un nouvel éclat. Ainsi les entretiens recommencèrent.

A différentes époques je m'engageai dans d'autres conversations; je pris ce passe-temps empoisonné plusieurs années durant, sans le croire aussi nuisible qu’il l'était. Par intervalles, il est vrai, une clarté vive m'en découvrait le danger. Mais aucun de ces entretiens ne dissipa mon âme autant que celui dont je viens de parler, parce que je portais beaucoup d'affection à cette personne.

Une autre fois, tandis que je causais avec elle, nous vîmes venir vers nous (et d'autres personnes qui étaient présentes le virent aussi) une espèce de monstre semblable à un crapaud, d'une grandeur plus qu'ordinaire, mais beaucoup plus rapide dans sa course. Il m'a été impossible de m'expliquer comment, au lieu d'où il vint, il pouvait y avoir en plein midi un animal de ce genre, et jamais de fait on n'en avait vu là. L'impression que j'en reçus ne me semblait pas sans mystère. C'est un de ces avertissements dont je n'ai jamais perdu le souvenir. O grand Dieu! Quelle était donc votre sollicitude pour moi! comme votre amour était sans cesse attentif à m'avertir! Mais combien peu je sus en profiter!

Ce père, de l'ordre de Saint Dominique, homme de grande vertu et rempli de la crainte du Seigneur, me fut très utile. Je me confessai à lui. Il prit à cœur mon avancement spirituel, m'ouvrit les yeux sur le danger que je courais, et me fit communier tous les quinze jours. Peu à peu, nos rapports devenant plus intimes, je lui parlai de ma conduite au sujet de l'oraison. Il me dit que je ne devais point l'abandonner; elle ne pouvait que me faire du bien. Je la repris donc, et depuis je ne l'ai plus quittée; mais je ne m'éloignai pas pour cela des occasions.

Ainsi, sauf l'année que je viens de mentionner, sur vingt-huit ans écoulés depuis que je commençai à faire oraison, j'en ai passé plus de dix-huit dans ce combat et cette lutte d'une âme partagée entre Dieu et le monde.

Cet adorable Maître fait les frais pour eux En échange d'un peu de peine, il leur donne des consolations qui leur permettent de porter toutes les croix.

Cessant dès lors de me fier à moi-même, je mis en ce bon Maître toute ma confiance. Je lui dis, me semble-t-il, que je ne me lèverais point de là qu'il n'eût favorablement accueilli ma prière. Je tiens pour certain qu'il l'exauça, car dès ce jour je ne cessai plus de faire de rapides progrès.

Peu à peu le divin Maître m'aida à m'en éloigner; et à peine vit-il en mon âme une préparation depuis si longtemps attendue, qu'il m'accorda des faveurs de plus en plus nombreuses, comme mon récit va le faire connaître

Mais si celui qui commence fait, avec l'aide de Dieu, de persévérants efforts pour s'élever au sommet de la perfection, jamais, à mon avis, il ne va seul au ciel. Il y mène après lui une troupe nombreuse; comme à un vaillant capitaine, Dieu lui donne des soldats qui marchent sous sa conduite. Ainsi, pour ne pas reculer devant tant de périls et de difficultés, il lui faut un très grand courage et un secours signalé du Seigneur.

Celui qui veut s'adonner à l'oraison doit se figurer qu'il entreprend de faire, dans un sol ingrat et couvert de ronces, un jardin dont la beauté charme les yeux du Seigneur. C'est le divin Maître lui-même qui arrache les mauvaises herbes et doit planter les bonnes. Or, nous supposons cela fait, quand une âme est résolue de se livrer à l'oraison, et que déjà elle s'y exerce. C'est maintenant à nous, comme bons jardiniers, de travailler, avec le secours de Dieu, à faire croître ces plantes. Nous devons les arroser avec le plus grand soin; alors, loin de se flétrir, elles porteront des fleurs dont le doux parfum attirera le divin Maître. Souvent pour son plaisir il visitera ce jardin, et il y prendra ses délices au milieu des vertus qui en sont les fleurs. 

Le devoir du disciple est d'aider le divin Maître à porter cette croix dont il fut chargé toute sa vie. Sans chercher ici-bas son royaume, et sans jamais abandonner l'oraison, il acceptera, même jusqu'au dernier soupir, cette désolante aridité, et il ne laissera point Jésus-Christ tomber sous le fardeau de la, croix, Un temps viendra où cet adorable Sauveur le récompensera de tout; il n'a pas à craindre de perdre le fruit de son travail. Il sert un bon Maître, dont les regards sont constamment attachés sur lui. Qu'il ne se trouble pas des mauvaises pensées, mais qu'il se souvienne que le démon les présentait aussi à saint Jérôme dans le désert.

Nous pouvons encore, à l'exemple des saints, aimer la solitude, le silence, et pratiquer plusieurs autres vertus, qui ne tueront pas ce corps, notre mortel ennemi. Que veut-il, en effet, par tant de ménagements qu'il exige, si ce n'est la ruine de l'âme? De son côté, le démon ne contribue pas peu à le frapper d'impuissance pour le bien. Voit-il en nous quelque crainte, c'en est assez: soudain il nous persuade que tout va nous tuer, ou du moins nous ruiner la santé. Il nous inspire même une secrète terreur des larmes versées dans l'oraison, comme pouvant nous rendre aveugles. Je le sais, parce que j'en ài fait l'épreuve. Eh bien! je le demande: le plus précieux avantage d'une vue, d'une santé parfaite, ne serait-ce pas de les perdre l'une et l'autre pour une aussi belle cause?

 

Infirme comme je le suis, je me vis toujours enchaînée, incapable du moindre bien, jusqu'au moment où je pris la détermination de ne tenir aucun compte ni du corps ni de la santé. A la vérité, ce que je fais aujourd'hui se réduit encore à bien peu de chose. Mais Dieu m'éclaira sur cet artifice du démon. M'objectait-il la perte de ma santé, je disais . Il importe peu que je meure. Me parlait-il de la perte de mon repos, je lui répondais: Je n'ai plus besoin de repos, mais de croix; et ainsi du reste. Je vis clairement que, malgré des infirmités réelles, je cédais, en bien des circonstances, à la tentation de cet esprit de ténèbres ou à ma propre lâcheté. Par le fait, depuis que je me traite avec moins de soins et de délicatesse, je me porte beaucoup mieux.

 Quelques-uns, j'en conviens, n'auront pas une connaissance expérimentale des voies spirituelles; mais ils ne les ont point en aversion, ils ne les ignorent pas, et, à l'aide de l'Écriture sainte dont ils font une étude constante, ils découvrent toujours les véritables marques du bon esprit. Je suis convaincue qu'une personne d'oraison qui consulte des gens savants, ne sera pas trompée par les artifices du démon, si elle ne veut se tromper elle-même. Cet esprit de ténèbres redoute singulièrement, selon moi, la science humble et vertueuse; il sait qu'il sera découvert par elle, et qu'ainsi ses stratagèmes tourneront à sa perte.

Mais ce Souverain, ce Maître adorable veut ici nous donner une connaissance expérimentale de cette vérité, et nous révéler en même temps les effets de sa présence. Il fait éclater son dessein d'opérer d'une manière particulière dans notre âme, en versant en elle une grande satisfaction intérieure et extérieure, infiniment différente de tous les vains plaisirs d'ici-bas; et il comble ainsi, ce semble, le vide que nous avions fait en nous par nos péchés. L'âme goûte cette joie céleste au plus intime d'elle-même, mais sans savoir d'où ni comment elle lui est venue. Dans cet état, elle ignore souvent ce qu'elle doit faire, ou désirer, ou demander. Il lui semble avoir trouvé tout ce qu'elle pouvait désirer, mais elle ignore ce qu'elle a trouvé; et moi-même je ne sais, je l'avoue, comment en donner l'intelligence.

 Mais une chose me tranquillise et me rassure pleinement,

c'est que mon écrit sera remis à des hommes capables de discerner l'erreur.

Ils le jugeront quant à la doctrine et quant à l'esprit, et s'ils y trouvent quelque chose

de mauvais, ils ne manqueront pas de le retrancher.

Par là on reconnaîtrait, autant du moins qu'on le peut ici-bas, quand elles viennent de l'esprit de Dieu.

Au reste, alors même que c'est lui qui agit, il est toujours bon de marcher avec crainte et avec une sage circonspection.

L'esprit de ténèbres pourrait, en effet, se transfigurer quelquefois en ange de lumière.

Si l'âme n'est pas très exercée, elle ne s'apercevra pas de l'artifice;

il faut, pour le démêler, avoir atteint le plus haut sommet de l'oraison. 

 O mon Maître et mon Bien, je ne puis, sans verser des larmes et éprouver une grande joie intérieure, dire quel est notre bonheur. Vous portez votre amour, Seigneur, jusqu'à vouloir être avec nous, comme vous êtes au saint sacrement de l'autel. Je puis le croire, et je suis en droit de faire cette comparaison, puisque c'est la vérité. Oui, nous pouvons, si nos fautes n'y mettent obstacle, goûter auprès de vous la plus pure félicité; et vous-même, vous trouvez dans nos âmes un délicieux séjour, vous nous l'affirmez en disant: « Mes délices sont d'être avec les enfants des hommes. » O mon Maître, quel mystérieux pouvoir dans cette parole

 Ne le permettez pas, Seigneur, et daignez, je vous en conjure, sauver de sa perte une âme dont vous avez payé la rançon partant de souffrances, que vous avez encore, depuis, tant de fois rachetée et tant de fois enlevée des dents de l'effroyable dragon.

 

Je ne saurais trop exhorter ces âmes, qui semblent choisies de Dieu pour le bien spirituel d'un grand nombre d'autres, à ne pas enfouir un si précieux talent, surtout de nos jours, où les amis du Seigneur doivent être forts pour soutenir les faibles. Ceux qui découvrent en eux un pareil don de Dieu, peuvent à juste titre se considérer comme ses amis, si toutefois ils gardent, vis-à-vis de lui, les lois que le monde lui-même impose à toute véritable amitié. S'ils ne le font pas, qu'ils craignent, comme je l'ai dit, de se nuire à eux-mêmes, et Dieu veuille qu'ils ne nuisent qu'à eux seuls!

 il est facile, ce me semble, de distinguer quand c'est l'esprit de Dieu qui agit, et quand cette douceur est un fruit de notre industrie, c'est-à-dire quand, à la suite d'un sentiment de dévotion que Dieu nous donne, nous voulons, comme je l'ai fait remarquer, passer de nous-mêmes à cette quiétude de la volonté. Dans ce dernier cas, elle ne produit aucun bon effet, disparaît très vite, et laisse dans la sécheresse. Le démon est-il l'auteur de ce repos, une âme exercée le reconnaîtra; car il laisse de l'inquiétude, peu d'humilité, et peu de disposition aux effets que produit l'esprit de Dieu; enfin il ne communique à l'entendement ni lumière, ni ferme adhésion à la vérité.

 

Le démon ne peut faire ici que peu de mal, et il n'en fera même aucun, si l'âme, comme je l'ai dit, rapporte à Dieu le plaisir et la suavité qu'elle goûte, et si Dieu seul est l'objet de ses pensées et de ses désirs. Dieu permettra même que le démon perde beaucoup en procurant à l'âme ce plaisir. Car, dans la ferme croyance qu'il vient de Dieu, elle se sentira portée à revenir souvent à l'oraison, pour en jouir encore. Et si elle est vraiment humble, sans curiosité, sans attache aux consolations, même spirituelles, mais amie de la croix, elle ne tiendra pas grand compte des douceurs que le démon lui donne; mais il n'en sera pas ainsi pour les délices qui lui viennent de Dieu: elle ne pourra s'empêcher de les estimer beaucoup. L'âme doit avoir à cœur de sortir bien humble de l'oraison et des consolations qu'elle y trouve. Si dans les joies et les délices que lui procure le démon, menteur par essence, elle tient cette conduite, l'esprit du mal, comprenant qu'il y perd, ne renouvellera pas souvent ses artifices.

 

Suite !!

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