L’abbaye Notre-Dame du Bec est une abbaye catholique bénédictine faisant aujourd'hui partie de la congrégation de Sainte-Marie de Mont-Olivet et située au Bec-Hellouin, près de Brionne, dans le département de l’Eure. Elle a été fondée en 1034 par Herluin, chevalier du comte Gilbert de Brionne.
Avec l’arrivée de l’italien Lanfranc de Pavie, prieur et maître de l’école monastique, puis d’Anselme de Cantorbéry, le Bec devient l’un des principaux foyers de la vie intellectuelle du XIe siècle : le futur pape Alexandre II y étudie vers 1050 ainsi que nombre de futurs légats et évêques.
Depuis près de 1 000 ans, l’abbaye du Bec est liée par l'histoire à la cathédrale de Cantorbéry, à qui elle a donné trois archevêques.
Laissée en ruines par la Révolution, l'abbaye est classée à partir de 1840 au titre des monuments historiques[1], et aujourd'hui gérée par le Centre des monuments nationaux[2]. Elle a retrouvé vie grâce aux moines bénédictins qui, depuis 1948, y perpétuent à nouveau la vie monastique, sous l'égide depuis son élection en 1996 de dom Paul-Emmanuel Clénet, 49e abbé.
L'abbaye se compose aujourd’hui de la salle capitulaire, du cloître (XVIIe siècle) et des majestueux bâtiments conventuels (XVIIIe siècle). La grande église abbatiale (XIVe siècle) ne possède plus que ses fondations (l’église actuelle se trouve dans l’ancien réfectoire). L’ensemble est dominé par la puissante tour Saint-Nicolas (XVe siècle).
Contrairement à ce qui se faisait le plus souvent au XIe siècle, l'origine de la fondation de l'abbaye du Bec n'est pas une dotation de riches seigneurs normands, mais celle d'Herluin, simple chevalier sans éducation, tardivement touché par la dévotion. Propriétaire de terres à Bonneville, sur le plateau à l'ouest de la vallée du Bec, Herluin s'y retire et y bâtit un ermitage en 1034 avec l'accord du comte Gilbert de Brionne, le seigneur local et son ancien maître. Cette première donation se limite au patrimoine de son fondateur, et la charte mentionne : « Que tous ceux qui font profession de la religion chrétienne sachent que moi, Hellouin, fils d'Ansgot, en présence et de l'agrément et de l'aveu de mes frères, Eudes et Roger, avec l'approbation de Gilbert, comte, d'Albert et de Ranulphe, du consentement de Robert, comte, et de Robert, archevêque, j'ai donné à Notre-Dame le tiers de Bonneville, y compris les dépendances, Quevilly et Surcy, avec ce qui dépend de ces deux domaines, la terre de Cernay avec ses attenances, biens qu'Ansgot, mon père, a possédés pendant sa vie ; j'y ajoute la dot de ma mère qui, par la volonté expresse de mon père, m'a été donnée en entier : en présence des témoins Fulbert, prêtre, Vital Rainald et autres. »[4]
Le 24 mars de l'année suivante, l'évêque de Lisieux le nomme abbé, à la tête du monastère soumis à la règle de saint Benoît, et consacre la chapelle dédiée à Notre-Dame[5].
Pendant cinq ans, Herluin et ses compagnons cultivent et défrichent les terres autour du monastère. Puis, vers 1039, ils doivent descendre dans la vallée en raison du manque d'eau sur le plateau et s'installent à Pont-Authou, à la confluence du Bec et de la Risle. Une seconde église est consacrée le 23 février 1041 par l'archevêque de Rouen Mauger. Cent trente-six moines font profession sous l'abbatiat d'Herluin[6].
Les possessions s'étendent notamment par une part de la forêt de Brionne, le Parc-du-Bec, grâce au soutien de Guy de Bourgogne, seigneur de Brionne après l'assassinat du comte Gilbert, et l'abbaye de Saint-Évroult, apportée par Guillaume Giroie dans laquelle Herluin restaure la vie religieuse[4].
L'école du Bec
Le rayonnement du monastère commence à se faire sentir avec la création de l'École du Bec, en 1045, par Lanfranc de Pavie arrivé en 1039 dans la communauté, et qui devient prieur de l'abbaye. Elle est, comme d'autres monastères bénédictins au XIe siècle, ouverte non seulement aux oblats mais aussi aux fils d'aristocrates, destinés ou non à une carrière ecclésiastique[7]. Selon Guillaume de Malmesbury, cette école publique permet à la communauté de récolter de larges fonds financiers. Les qualités d'enseignement du prieur, déjà exercées à Avranches, font venir des élèves de toute la Normandie, fils de barons et de riches laïcs. Ils étaient une centaine à suivre ensemble les cours de Lanfranc. Passeront par ce « centre intellectuel le plus considérable de la Normandie et même de la France », de nombreux intellectuels, comme Anselme de Laon, plusieurs évêques dont Yves de Chartres et le futur pape Alexandre II, et Anselme d'Aoste, qui succèdera à son maître Lanfranc à la tête de l'école puis au siège de Cantorbéry[8].
Face au nombre grandissant de moines s'y présentant, la nouvelle abbaye se révèle insuffisante en plus d'être humide et malsaine. Sous l'impulsion de Lanfranc, devenu proche conseiller du duc Guillaume de Normandie sans abandonner la communauté d'Herluin, une translation et une extension sont envisagées. Financés par les dons des seigneurs normands dont les enfants fréquentent l'école, les travaux débutent en 1060. En trois ans, les bâtiments claustraux sont achevés, mais les moines ne quittent Pont-Authou qu'à l'automne 1073. Anselme, arrivé comme élève en 1059, devient prieur et écolâtre du Bec quand son maître Lanfranc est appelé par Guillaume le Conquérant à la tête de l'abbaye Saint-Étienne de Caen en 1063. Après que Lanfranc soit nommé par le duc, archevêque de Cantorbéry en 1070, l'élève et le maître, tous deux italiens, poursuivent à distance une relation épistolaire faite de respect mutuel. Le primat d'Angleterre vient consacrer le 23 octobre 1077 la nouvelle église qu'il avait contribué à faire édifier, en présence des évêques de Bayeux, Évreux, Lisieux, Sées et Le Mans, et de nombre de seigneurs normands, français et anglais. Herluin meurt en 1078, et Anselme lui succède comme abbé du Bec, avant d'être appelé en 1093 à succéder à Lanfranc à Cantorbéry[8].
Sous la direction de Lanfranc puis d'Anselme, l'enseignement du trivium et du quadrivium à l'école du Bec a gagné une réputation de qualité « exceptionnelle »[9], qui a fait venir pendant un demi siècle, des élèves « de France, de Gascogne, de Bretagne, de Flandres, d'Allemagne et de Rome même »[10]. Si le sanctuaire normand possède aussi des chaires de théologie, d'écriture sainte et de droit canonique et civil, il se différencie des autres communautés scolaires de cette époque par l'importance donnée par ses deux premiers écolâtres à la littérature, la mettant presqu'autant à l'honneur que la discipline monastique. Et lorsque Baudri de Bourgueil visite l'abbaye, il loue « l'esprit religieux dans toute sa plénitude, sans mensonge, sans flatterie, sans défaillance ». Un « esprit de douceur et de bénignité » vanté également par l'abbé Porrée dans son Histoire de l'abbaye du Bec, et que Bernard Gicquel attribue aux trois fondateurs de l'abbaye — Herluin, Lanfranc, et Anselme — ayant respectivement apporté la « piété », la « science » et la « mansuétude ». A l'enseignement de la scolastique, s'ajoute la participation de l'abbaye aux controverses théologiques de son temps, telle celle sur la nature de l'eucharistie pour laquelle Lanfranc défend contre Bérenger de Tours sur le principe d'une présence substantielle et non seulement spirituelle du corps et du sang du Christ dans l'ostie et le vin, ou encore la dénonciation du nominalisme de Roscelin de Compiègne par Anselme[4]. Autre trace de cette activité intellectuelle, l'écriture très probable dans cette enceinte vers 1050 de la Chanson de saint Alexis, et plus tard la Chanson de Roland de Turold[11]. La musique y est également pratiquée[4].
Scolastique (du latin schola, ae, « école », lui-même du grec σχολή, qui désigne « arrêt de travail », ou bien « loisir consacré à l'étude ») désigne la philosophie développée et enseignée dans les universités au Moyen Âge visant à concilier l'apport de la philosophie grecque (particulièrement l'enseignement d'Aristote et des péripatéticiens) avec la théologie chrétienne héritée des Pères de l'Église et d'Anselme. Sa définition précise reste problématique.
Lors de la Réforme protestante au XVIe siècle, la scolastique sera accusée d'avoir ruiné la doctrine chrétienne en établissant la prépondérance de la philosophie antique[1]. Le débat se résume en ces termes : les réformateurs, notamment Martin Luther, accuseront les scolastiques d'avoir hellénisé la religion chrétienne. Les tenants du Vatican considèrent que les scolastiques ont plutôt christianisé la civilisation hellénistique[2], ouvrant la foi aux catégories de la pensée antique.
Une des bases de la scolastique est l'étude de la Bible des Septante, traduite de l'hébreu en grec à Alexandrie. Elle fut ensuite traduite du grec en latin, par saint Jérome, ce qui a donné la Vulgate. La Vulgate devient le texte de référence absolu pour les penseurs latins du Moyen-Age. Uniquement accessible aux lettrés, elle est le fondement incontesté des études. Sont aussi soumis à l'étude scolastique l'enseignement officiel de l'Église, notamment les décisions des conciles; les écrits des saints, tels Saint Augustin, Saint Hilaire, Grégoire le Grand, les traités attribués à Denys l'Aréopagite, et surtout les quatre Livres des sentences, où Pierre Lombard avait rangé, vers 1150, l'ensemble des données et des problèmes de la foi chrétienne tels qu'ils avaient été déterminés, discutés, compris, par les principaux penseurs de l'Église[3].
La réconciliation entre Aristote, « le divin docteur » et la foi chrétienne passe en particulier par la tentative de résoudre les tensions entre philosophie première (selon Aristote) et théologie, autrement dit entre une métaphysique générale (philosophie première appelée plus tard ontologie, ou ontosophie) et une science de l'être par excellence (plus tard, metaphysica specialis, la théologie). La plupart des textes d'Aristote sont seulement connus dans leur traduction de l’arabe vers le latin par Averroès. Cette réconciliation avec la philosophie première est présentée dans la Somme théologique de Thomas d'Aquin. Au centre de cet ouvrage, on trouve une théologie de la Création (prima pars : Dieu, la création). La réconciliation est soumise à la hiérarchie augustinienne : « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas ». Il s'agit avant tout de mieux comprendre la foi chrétienne à la lumière de la philosophie antique.
La scolastique comporte plusieurs formes : la lectio de textes, les commentaires, la quaestio, la disputatio ou question disputée, les questions quodlibétales et les sommes.
La lectio consiste à expliquer les textes fondamentaux de l'enseignement (la Bible, Pierre Lombard, Aristote plus tard, etc.) quasiment mot à mot. Le texte est divisé en ses diverses parties, puis commenté dans le détail ; enfin les problèmes qu'il pose sont examinés. Les commentaires sont destinés à faire comprendre des œuvres (de nature religieuse, philosophique, scientifique) considérées comme fondamentales. Elle permet de résoudre un problème selon un schéma rigoureusement réglé, des problèmes de théologie ou de philosophie.
La quaestio apparaît au début du XIIe siècle. La technique en est parfaitement mise au point au XIIIe siècle[3]. La quaestio est le fait du maître seul. Quand y sont mêlés d'autres acteurs, elle prend la forme de la disputatio, soumise à des règlements universitaires précis.
La disputatio représente une compétition, une joute verbale entre deux docteurs et leurs étudiants sur un sujet de théologie, de philosophie ou de droit. À Paris, elle se déroule sur la place de la Sorbonne, ou sur tout autre lieu circulaire, devant des spectateurs qui ont été avertis de la joute oratoire par des « placards », affichés entre autres sur la porte des églises. Le déroulement de ces joutes est très strict, et codifié de façon rigide[4]. Une somme est le résumé systématique d'un ensemble doctrinal, résumé qui peut être fort long.
C'est sur l'aspect formaliste de la disputatio que se concentrera la critique rationaliste et moderne de la scolastique. Sa méthode est en effet une pure spéculation intellectuelle, fondée exclusivement sur le commentaire de textes ou le commentaire de commentaires, s'interdisant tout regard direct sur le réel. Cette logique formelle[5] ne peut se prévaloir d’aucune validité en ce qui concerne la compréhension et l’extension d’un prédicat. C’est l’attitude que Platon a combattue chez les sophistes.
Le développement de la scolastique fut essentiellement subordonné à la pénétration d’Aristote en Europe, ainsi qu’aux traductions des philosophes juifs et arabes (dont Avicenne, Averroès, Maïmonide)[6] L’installation de la physique et de la métaphysique d’Aristote en Occident provoqua une véritable « révolution »[7]. La chronologie peut être décomposée comme suit :
- Pendant tout le Moyen Âge, Aristote n’est vu que comme un logicien, et on ne connaît de lui que l’Organon[8], puis les Catégories et le Periermenias, bases sur lesquelles on ajoutera quelques sources indirectes, qui donnera un ensemble appelé vieille logique. C’est cette version qu’avait utilisé Abélard
- Vient le moment où « par Tolède, les chevaliers de la Reconquista apportent aux troubadours les échos de la poésie de l’Islam. Ce fut d’abord la nature qu’Aristote découvrit aux esprits »[10]. C’est essentiellement Gérard de Crémone, à partir de 1134 à Tolède, ayant à son actif 86 traductions de l’arabe (ouvrages de mathématiques, d’astrologie, d’hermétisme)[11], qui va traduire « la version des analytiques postérieurs, de la Physique, des traités du ciel et du monde, de la génération et de la corruption, ainsi que des premiers livres des météores »[12]. D’après Jeauneau, ces premières traductions sont encore imprégnées de néo-platonisme[13] et mêlent des ouvrages authentiques d'Aristote à des ouvrages influencés par le néo-platonisme, tels que le "Liber de Causis" ("Livre des causes" ou "Livre du bien pur").
- Les dates exactes d'arrivée des diverses traductions en France nous sont actuellement inconnues, bien qu'il soit fort probable que leur diffusion fut progressive. Néanmoins, Étienne Gilson[14] donne l'indication suivante : « Il semble bien que quelque chose de la physique d'Aristote ait été connu dès la fin du XIIe siècle. »
- En 1210, les livres de philosophie de la nature sont interdits[15].
- En 1215, plusieurs écoles s’assemblent pour fusionner et devenir l’Université parisienne, institution à part entière, avec ses propres statuts[16]. L’universitaire y fonde sa méthode, la scolastique [17] qui connaîtra ses premiers déboires, du fait de l’inconciliabilité d’une culture importée avec la culture établie[18]. À la faculté des arts de Paris, la logique d’Aristote est tolérée, mais non la physique et la métaphysique [19]
- En 1231, le pape Grégoire IX « réitère l’interdiction du concile de 1210, mais ajoute que la Physique d’Aristote sera soumis à l’examen d’une commission et purgé de ses erreurs »[20]
- De 1230 à 1255, les barrières se rompent progressivement, sous l’impulsion d’Albert Le Grand et Roger Bacon en 1244, puis de Robert Grossetête, chancelier de l’université d’Oxford qui termine la traduction de l’Éthique à Nicomaque en 1247, et enfin de Saint Thomas d’Aquin en 1252, où « Saint Thomas a franchement opté pour Aristote »[22].
- Cette éclaircie ne sera que de courte durée. En 1270, Etienne Tempier, Evêque de Paris, condamne l’aristotélisme après avoir découvert des positions contraires aux dogmes chrétiens chez certains scolastiques (tels que Boèce de Dacie et Siger de Brabant), condamnation renforcée en 1277, car il dit « qu’il pouvait exister plusieurs mondes, et que l’ensemble des sphères célestes pouvait, sans contradiction, être animé d’un mouvement rectiligne ». Cette date correspond, selon Duhem, à la naissance de la science moderne[24]. Tempier, au nom d’une nécessité théologique, ouvrira une brèche béante à partir de laquelle se poseront les bases de la pensée moderne : « Si la science moderne n’est pas née en 1277, c’est la date où la naissance des cosmologies modernes est devenue possible en milieu chrétien »
La prestigieuse école forme durant cette période des auteurs de la pensée ecclésiastique, des acteurs du monachisme normand, des réformateurs de l'Église d'Angleterre… Ainsi, on compte parmi ses élèves le futur pape Alexandre II, Guillaume Bonne-Âme, archevêque de Rouen, Yves, évêque de Chartres, les évêques de Rochester Hernost, Gundulf (en) et Arnoul, Foulques, évêque de Beauvais, Turold d'Envermeu, évêque de Bayeux, Guillaume, abbé de Cormeilles, les premiers abbés de Lessay Roger et Geoffroy, Henri, abbé de la Bataille, Richard, abbé d'Ely, Richard, abbé de Sainte-Vaubourg, Lanfranc, neveu de l'écolâtre, abbé de Saint-Wandrille, Adelelme, abbé d'Anchin, Lanfred, abbé de Saint-Wulmer, William, écolâtre de Bamberg, moine de Fulda et abbé de Mersbourg, Henri, doyen de Cantorbéry, Bernard, abbé du Mont-Saint-Michel, Durand, Guillaume, Normand, abbés d'Ivry, Jean, abbé de Saint-Sabas, et Jean, abbé de Telese, en Italie, ou encore les théologiens Anselme de Laon et Guimond d'Aversa[12].
Appelé à Cantorbéry, Anselme choisit en 1093 pour lui succéder à la tête de la congrégation, Guillaume de Beaumont, prieur de Poissy après avoir passé 15 ans au Bec. De 1077 à 1106, le Bec enregistre la fondation de onze prieurés aussi bien en Normandie qu'en Île-de-France et en Angleterre. À ce moment, l'aristocratie est très impliquée dans le développement du Bec, tant au niveau le plus élevé avec les ducs de Normandie et les rois de France, qu'au niveau des familles qui gravitent dans l'entourage des précédents, ou de la petite aristocratie qui dote le Bec de terres, de fours, de moulins et d'églises dans le voisinage de l'abbaye[14]. On trouve notamment parmi ses bienfaiteurs les noms de Richard de Bienfaite, Henri d'Eu et Hugues III de Meulan.
L'école du Bec perd de son aura au début du XIIe siècle, époque correspondant au départ d'Anselme pour l'archevêché de Cantorbéry et avec lui l'émigration en Angleterre de plusieurs de ses compagnons, ainsi qu'à l'affaiblissement général des écoles monastiques au profit des écoles urbaines qui se multiplient, en particulier celles de Paris[9],[15]. Tandis que le nombre des moines sur place diminue au profit des prieurés donnés ou fondés sous l'autorité de la communauté, « il n'y a plus au Bec ni philosophe, ni théologien » au milieu du XIIe siècle[4]. Jusqu'à la fin du siècle, l'abbaye poursuit toutefois sa tradition scolaire et intellectuelle, accueillant en ses murs le chroniqueur Robert de Torigni et les poètes Étienne de Rouen et Pierre de Dives[5], et sa réputation attire toujours de nouveaux frères, à l'instar du roi Philippe Ier et le dauphin Louis VI qui s'affilie au Bec sous l'abbatiat de Guillaume[4].
L'abbaye continue de s'agrandir et de voir augmenter son rayonnement. En ce temps-là, la célèbre abbaye possède dans tout le pays de si gros revenus et de si vastes propriétés que l'on dit à son propos : « De quelque côté que le vent vente, l’abbaye du Bec a rente ». Elle profite de la générosité de nombreux donateurs, parmi lesquels Henri Ier d'Angleterre, proche de l'abbé Boson, puis sa fille Mathilde l'Emperesse qui s'y fait inhumer en 1167[5]. Avec la conquête de l'Angleterre par le Guillaume de Normandie, les barons En Angleterre même, le village de Tooting Bec, aujourd’hui dans la banlieue londonienne, tient son nom de ce que l’abbaye en possédait les terrains[16].
En 1138, Thibaut, ancien prieur du Bec, puis abbé, est élu à son tour archevêque de Cantorbéry. À l'abbaye, lui succède Létard, moine natif du village du Bec, qui fait construire la salle capitulaire de 1140 à 1146, grâce aux libéralités de Robert de Neubourg qui prend la robe à la fin de sa vie[4]. Le successeur de Létard, Roger 1er, fait rénover entièrement l'église abbatiale, dont la première pierre est posée le 14 août 1161 par l'évêque Rotrou et la consécration célébrée en avril 1178 en présence du roi d'Angleterre. Roger fait également édifier une infirmerie et une maison pour recevoir les voyageurs, rénover le dortoir, creuser des canaux pour porter l'eau aux appartements[4].
L'église est partiellement détruite en 1195. En 1214, l'architecte Enguerrand (ou Ingelramme), successeur de Jean d'Andely pour l'édification de la cathédrale de Rouen, entame sa reconstruction. Les travaux sont poursuivis par Gautier de Meulan, mais elle est brûlée à deux reprises avant d'être reconstruite vers 1275[17].
Mais au milieu du XIVe siècle l'abbaye doit s'organiser en raison de la Guerre de Cent Ans. Le plan de Louis d'Harcourt qui prévoit de démolir l'église à peine érigée n'est pas appliqué, mais en 1358 la basilique et le chapitre sont fortifiés et entourés de fossés, tandis que trois côtés du cloître et une partie du dortoir et du cellier sont rasés[4]. Financièrement exsangue, partiellement détruite par le conflit, l'abbaye est restaurée à l'ultime fin du XIVe siècle. Mais la lutte entre Anglais et Français se poursuit, et en 1418, après un siège d'un mois par le duc de Clarence, la place forte se rend en laissant l'abbaye aux pillards. Reprise en 1421 par les Français, les fortifications du Bec sont par la suite rasées par les troupes anglaises. Pour abriter ses moines durant le conflit, l'abbé Robert III fait construire l'hôtel du Bec à Rouen, à l'emplacement de l'hôtel des Fontaines. C'est surtout à partir de 1450, à la sortie des hostilités, que l'abbaye commence à se redresser sous l'administration de Geofroy d'Épaignes, qui restaure église, bâtiments claustraux et infirmerie, et de celle de Jean Bouchard, premier abbé commendataire, qui fait achever le beffroi. Robert d'Évreux lui succède en 1484 comme abbé régulier, il démissionne l'année suivante en faveur de Guillaume Guérin (1492-1515), trente-troisième abbé du Bec, et dernier régulier[4].
Vocation à l’œcuménisme
En raison même de l'histoire de l'abbaye du Bec, les communautés de moines et de moniales se sont engagées dès leurs arrivées en 1948–1949 sur la voie de l'unité et du dialogue entre les différentes confessions chrétiennes. Les communautés monastiques du Bec ont suivi avec un intérêt passionné le déroulement du concile Vatican II dont les travaux confortaient l'orientation ecclésiologique, liturgique et œcuménique donnée par dom Grammont. L'œcuménisme est l'un des plus grands soucis de l'abbaye du Bec[25].
Anglicanisme
Le Bec ayant donné à l'Église d'Angleterre trois archevêques de Cantorbéry, l'anglicanisme y tient tout naturellement une place importante. La réciproque étant également vraie, très rapidement de nombreuses visites d'anglais catholiques, mais surtout anglicans, amenèrent le développement de relations amicales. C'est ainsi que l'abbaye du Bec est un de ces lieux où catholiques anglicans et catholiques romains peuvent se retrouver pour prier et apprendre à mieux se connaître. La bibliothèque de l'abbaye abrite, entre autres, 5 000 ouvrages sur l'anglicanisme provenant du dépôt de l'évêque John Graham.
Lorsque le pape Jean-Paul II vint à la cathédrale de Cantorbéry rencontrer l'Archevêque Robert Runcie en 1982, dom Grammont et la mère prieure du monastère Sainte-Françoise Romaine eurent le privilège de partager ce grand moment de l'histoire de la cathédrale. Les communautés du Bec assistent aux évènements importants marquant la vie de la Communion anglicane comme l'intronisation des archevêques ou les Conférences de Lambeth.
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