Les âmes du purgatoire ont occupé une place trop importante dans la vie de notre Sainte pour ne pas nous arrêter quelques instants sur un sujet si instructif.
Notre-Seigneur — on le sait — avait comme livré sa bénie servante à ces pauvres âmes, pour être leur consolatrice et leur victime.
On peut dire qu'elle en était habituellement environnée, ces grandes affligées s'adressant à elle en toute confiance, afin d'être secourues. Plusieurs des visions qu'elle en eut sont bien faites pour donner à réfléchir. Elle raconte entre autres celle-ci
Une fois, « comme j'étais devant le saint Sacrement le jour de sa fête, tout d'un coup il se présenta devant moi une personne toute en feu, dont les ardeurs me pénétrèrent si fort, qu'il me semblait que je brûlais avec elle.
L'état pitoyable où elle me fit voir qu'elle était en purgatoire me fit verser abondance de larmes.
Il me dit qu'il était ce religieux bénédictin, qui avait reçu ma confession une fois, qu'il m'avait ordonné de faire la sainte communion, en faveur de laquelle Dieu lui avait permis de s'adresser à moi, pour lui donner du soulagement dans ses peines, me demandant, pendant trois mois, tout ce que je pourrais faire et souffrir, ce que lui ayant promis,
après en avoir demandé la permission à ma supérieure, il me dit que le sujet de ses grandes souffrances était qu'il avait préféré son propre intérêt à la gloire de Dieu, par trop d'attache à sa réputation ; la seconde était le manquement de charité envers ses frères, et (160) la troisième le trop d'affection naturelle qu'il avait eu pour les créatures et le trop de témoignages qu'il leur en avait donné dans les entretiens spirituels, ce qui déplaisait beaucoup à Dieu (1). »
Les trois mois qui suivirent furent pour Marguerite-Marie trois mois du plus cuisant martyre. Il lui semblait vivre dans le feu. Mais ce martyre de flamme eut sa floraison de grâces. Au bout de ce temps, comblé de joie et de gloire, le religieux délivré s'en alla jouir du bonheur éternel. Remerciant sa libératrice, il lui promit de la protéger devant Dieu.
Les prisons de la divine justice n'étaient pas des lieux fermés pour la confidente du Coeur de Jésus ; bien souvent, Notre-Seigneur lui faisait voir ce qui s'y passait. Après la mort d'une Soeur du monastère, Soeur Jeanne-Françoise Deltufort de Sirot, elle fut comme terrifiée par l'apparition et les aveux de la défunte, dont l'agonie avait été effrayante.
Sans la sainte Vierge, son âme eût été perdue. Le démon croyait déjà la tenir entre ses griffes.
Révélant à la charitable Soeur Alacoque ce qu'elle endurait au purgatoire, elle lui dit : « Bien que je souffre pour plusieurs choses, il y en a trois qui me font plus souffrir que tout le reste. La première est mon voeu d'obéissance, que j'ai si mal observé, que je n'obéissais qu'en ce qui me plaisait; et telles obéissances ne sont qu'à condamnation devant Dieu. La seconde est mon voeu de
pauvreté, ne voulant pas que rien me manquât, donnant à mon corps plusieurs soulagements superflus... Ah!... que les religieuses qui veulent avoir plus que la vraie nécessité et qui ne sont pas parfaitement pauvres sont odieuses aux yeux de Dieu! La troisième chose, c'est les manquements de charité et pour avoir causé de la désunion et en avoir eu avec les autres. Et pour cela les prières que l'on fait ici ne me sont pas appliquées, et le sacré Coeur de Jésus-Christ me voit souffrir sans compassion,
parce que je n'en avais point de ceux que je voyais souffrir (1). » Cette pauvre Soeur avait sans doute été une de celles qui persécutèrent la Servante de Dieu, et maintenant c'est à elle que cette âme infortunée s'adresse pour être soulagée !
La charité de Soeur Marguerite-Marie s'étendait à toutes ces malheureuses détenues de la justice suprême. « Je ne les nomme que mes amies souffrantes, » écrit-elle à la Mère de Saumaise (2).
Priant pour deux personnes qui avaient été en considération dans le monde, elle en vit une condamnée à un long purgatoire. Toutes les prières et tous les suffrages offerts à Dieu pour son repos étaient appliqués aux âmes de quelques familles de ses sujets, qui avaient été ruinées par son défaut de charité et d'équité. Rien ne leur étant resté afin de faire prier Dieu pour leurs défunts, le Seigneur avait résolu d'y suppléer ainsi.
Un premier jour de l'an, la Sainte priait pour
trois amies décédées, dont deux étaient religieuses et l'autre séculière. « Laquelle veux-tu que je délivre pour tes étrennes ? » lui dit Notre-Seigneur (1). Elle, s'abaissant profondément, le pria de faire lui-même ce choix. Alors, il délivra l'âme de la personne séculière, déclarant qu'il avait moins de peine à voir souffrir des âmes religieuses, parce qu'il leur avait donné, pendant leur vie, plus de moyens de se purifier par l'observance de leurs règles.
Les connaissances surnaturelles de la Soeur Alacoque relativement aux âmes du purgatoire étaient si manifestes que des personnes du dehors venaient s'informer d'elle de l'état de leurs parents décédés.
Humblement, la Soeur répondait : « Est-ce que je sais ce qui se passe en purgatoire ! »
Cependant, quelque temps après, elle disait aux uns : « Dieu a fait une grande grâce à un tel; il l'a mis dans son paradis et il n'a été qu'un tel temps dans le purgatoire. Elle exhortait les autres à continuer leurs prières (2)... »
La femme du docteur Billet, étant décédée, apparut à la Servante de Dieu, lui demanda des prières et la chargea de faire savoir à son mari . deux choses secrètes, concernant la justice et son salut. La Mère Greyfié répugnait à de tels messages et ne voulut rien transmettre de celui-ci. Peu après, nouvelle apparition de la défunte à la Soeur Alacoque et nouvelle résistance de la supérieure.
Mais la nuit suivante, un bruit si horrible se fit entendre dans la cellule de cette dernière, qu'elle en pensa mourir d'effroi, et revenue à elle, s'empressa d'avertir le docteur.
Il semble que la Mère Greyfié n'eût plus rien à souhaiter pour être convaincue dé la vérité de toutes les grâces que recevait Soeur Marguerite-Marie. Mais non ! Placée de Dieu auprès d'elle, pour la passer au crible, si l'on peut ainsi dire, cette virile supérieure va, une fois encore, exiger preuve sur preuve ; et parce que, dans tout ceci, elle n'est que l'instrument dont l'Esprit-Saint se sert, pour révéler à tous quelle âme est celle qu'il travaille de la sorte, la Mère Greyfié obtiendra tout ce qu'elle demandera, malgré ce qui semble téméraire dans sa conduite. Voici le fait.
Les infirmités de notre Sainte furent telles, durant toute l'année 1682, qu'elles ne lui laissaient pas quatre jours de suite sans l'arrêter. Le 21 décembre, jour de Saint-Thomas, elle était si faible qu'on. aurait pu croire à une mort prochaine. La Mère Greyfié vient trouver la malade à l'infirmerie et lui remet un billet, lui disant de faire ce qu'il contenait. Notre-Seigneur avait été le premier à le lui annoncer. Soeur Marguerite-Marie ouvre cependant le papier et lit ce qui suit
« Je vous commande, en vertu de sainte obéissance, que vous demandiez à Dieu qu'il me fasse connaître si ce qui se passe et s'est passé en vous depuis que je suis chargée de votre conduite, est de son esprit et de son mouvement ou de celui de la nature, et que, pour signe que le tout est de Dieu, (164) il suspende vos maux corporels, pendant l'espace de cinq mois seulement, sans que vous ayez, pendant ce temps-là, besoin de remèdes ni de quitter le train ordinaire de la règle. Mais que, si ce n'est pas Dieu, mais la nature qui agit en votre intérieur et extérieur, il vous laisse, selon votre coutume, tantôt d'une manière, tantôt de l'autre. Ainsi, nous resterons sûres de la vérité. (1) »
Rapportant la chose, Soeur, Marguerite-Marie ajoute : « L'on me fit donc sortir de l'infirmerie, avec des paroles telles que Notre-Seigneur les inspirait, pour les rendre plus sensibles et mortifiantes à la nature. Je présentai donc ce billet à mon Souverain, lequel n'ignorait pas ce qu'il contenait et il me répondit : — Je te promets, ma fille, que pour preuve du bon esprit qui te conduit, je lui aurais bien accordé autant d'années de santé qu'elle m'a demandé [de mois] et même toutes les autres assurances qu'elle m'aurait voulu demander.
— Et, droit à l'élévation du saint Sacrement, je sentis, mais très sensiblement [que] toutes mes infirmités m'étaient ôtées, à la façon d'une robe que l'on m'aurait dévêtue et laquelle serait demeurée suspendue. Et je me trouvai dans les mêmes force et santé d'une personne très robuste, laquelle depuis longtemps n'aurait été malade, et passai ainsi le temps que l'on avait souhaité, après lequel je fus remise dans les dispositions précédentes (2). »
Le 21 mai 1683, les cinq mois étaient révolu: La Mère Greyfié eut lieu d'être satisfaite, puisque tout se passa selon le programme qu'elle avait elle-même dressé. Elle redemanda son billet à Soeur Marguerite-Marie et y traça les lignes sui vantes : «Ce vingt-cinquième mai, j'avoue que j'a remarqué en vous une santé telle que je vous avais recommandé de la demander à Dieu et que, par ce signe manifeste, je dois être persuadée que la bonté et miséricorde incompréhensible du Coeur sacré de Jésus est l'autrice de ce qui s'est passé et si passe en votre âme jusqu'à présent. Je le veux ainsi croire ; mais je vous commande de nouveau de prier Dieu le Père, par Notre-Seigneur Jésus Christ, que pour l'amour de lui et encore pour m'affranchir de tous doutes, il vous continue la santé jusqu'à l'année complète de cette obéissance première. Passé cela, je vous abandonne à tout ce qu'il voudra faire de votre corps ; mais j'ai besoin, de ce temps pour mon entière assurance (1). »
L'année 1683 fut donc une année de santé pour la Servante de Dieu. Mais, la priva-t-il pour cela du bienfait sans égal de la souffrance ? Oh! non ! Et puisqu'elle était alors plus spécialement donnée aux âmes du purgatoire, la douleur, comme un feu intelligent, semblait réduire en cendres les parties les plus délicates de son être moral. Un tel travail intérieur ne se supporte pas sans d'indicibles peines. Cependant, son âme goûta aussi de célestes consolations, par la vue du bonheur éternel réservé à certaines privilégiées, au sortir du purgatoire.
Le 5 février 1683, la Mère Philiberte-Emmanuel de Monthoux, supérieure du premier monastère d'Annecy, mourait saintement. Toutefois, elle avait encore à se purifier avant de paraître devant Dieu. Notre-Seigneur montra à Soeur Marguerite-Marie que les prières et les bonnes oeuvres, offertes pour cette vénérée Mère dans tout l'Ordre de la Visitation, lui apportaient de grands soulagements. Le jeudi suivant, 15 avril, il lui sembla voir cette âme sous le calice qui renfermait l'hostie consacrée, et y recevant l'application des mérites de la nuit d'agonie du Sauveur. Le jour de Pâques, elle la revit, bien près d'être entièrement libérée. Enfin, le 2 mai, dimanche du Bon-Pasteur, elle la contempla allant comme se noyer et s'abîmer dans la gloire, avec une autre défunte, qui était du monastère de Paray, Soeur Jeanne-Catherine Gâcon, décédée le 18 janvier précédent. Montant au ciel, cette chère Soeur répétait
« L'amour triomphe, l'amour jouit; l'amour en Dieu se réjouit ! »
La Mère Anne-Séraphine Boulier, étant morte au monastère de Dijon le 7 septembre 1683, notre Sainte ne put s'en attrister, « la croyant jouissante de son souverain Bien (1). » Elle eut, en effet, connaissance de la récompense éternelle de cette âme, et, un peu plus tard, elle écrivit encore à son sujet : « Je la crois bien haute dans
la gloire et dans le rang de ces séraphins, destinés à rendre un perpétuel hommage au sacré Coeur de Notre-Seigneur Jésus-Christ (1). »
Au mois d'avril 1684, la jeune Antoinette-Rosalie de Sennecé, élevée au monastère de Paray comme Soeur du petit habit, tomba dans un accident d'apoplexie et un sommeil léthargique qui mirent hors d'espoir de lui pouvoir administrer les derniers sacrements.
Toute la Communauté, qui chérissait cette aimable enfant, était dans la consternation. La Mère Greyfié, pour obtenir la grâce que la petite malade recouvrât l'usage de la raison, commanda à la Soeur Alacoque de promettre à Notre-Seigneur ce qu'il lui montrerait désirer. Elle n'eut pas plus tôt accompli cette obéissance que le Souverain de son âme l'assura qu'il accorderait la faveur sollicitée, « pourvu que je lui promisse trois choses, lesquelles il voulait absolument de moi, » dit-elle.
« La première, de ne jamais refuser d'emploi dans la religion;
la seconde, de ne point refuser d'aller au parloir, ni d'écrire, qui était la troisième.
A cette demande, je confesse que tout mon [être] frémit, pour grande répugnance et aversion que j'y sentais,
Et je répondis : — O mon Seigneur! vous me prenez bien par mon faible, mais je demanderai permission, — laquelle ma supérieure me donna d'abord, quelque peine que je lui en pusse faire paraître, et il m'en fit faire une promesse en forme de voeu, pour ne m'en pouvoir plus dédire; mais, hélas ! combien d'infidélités n'y ai-je pas commises, car il ne m'ôta pas pour cela la peine que j'y sentais, qui a duré toute ma vie, mais la Soeur reçut ses sacrements (1). »
Il faut noter cependant, que parfois, cette répugnance de Soeur Marguerite-Marie pour le parloir avait ses exceptions.
La Mère Greyfié nous en donnera un exemple : « Le Révérend Père dé la Pérouse étant venu à Paray, désira de lui parler et la voir, sur l'estime que le Révérend Père de la Colombière lui avait témoigné faire de cette chère défunte ; et l'ayant entretenue, il me fit l'honneur de me voir quelques jours après, pour me remercier de lui avoir donné cette consolation, m'assurant que, sans qu'il eût rien dit à cette vertueuse défunte de ses dispositions; elle lui avait parlé comme si elle avait lu dans son intérieur.
Je voulus savoir d'elle si elle avait été bien mortifiée, comme à son ordinaire, lorsque je l'avais fait appeler pour le parloir, pour aller près de lui. Elle me répondit d'un air dégagé et gai que non, parce que Notre-Seigneur lui avait fait connaître que ce religieux était très aimé de son divin Coeur.
Elle me dit, dans une autre occasion, chose à peu près semblable du Révérend Père Rolin (2). »
Ce qui lui en était (171) une bien plus grande encore, c'était de se voir privée de ce pain délicieux de la correction, dont la Mère Greyfié lui avait été extraordinairement libérale. Tout cela réuni lui devient une peine si étrange, qu'elle ne peut s'empêcher de la verser dans le coeur de son ancienne Mère, et elle lui écrit, avec le plus filial abandon : « Il me semblait que je vivais en assurance sous votre conduite, parce qu'elle me faisait toujours marcher à rebours de mes inclinations naturelles, et c'est ce qui faisait plaisir à cet esprit duquel je crois être conduite,
qui me voudrait toujours voir abîmée dans toutes sortes d'humiliations, souffrances et
contradictions ; autrement il ne me donne point de repos. La nature n'y trouve pas son
compte, à tout cela; mais cet esprit qui gouverne le mien ne peut souffrir que j'aie aucun
plaisir que celui de n'en avoir point. (1) »
Le souverain Maître l'y prépara directement, puis il se communiqua à elle, avec une toute divine surabondance. Quelques mots suffiront à le prouver. « Le premier jour, il me présenta son sacré Coeur comme une ardente fournaise,
où je me sentis jetée et d'abord pénétrée et embrasée de ses vives ardeurs,
qu'il me semblait m'aller réduire en cendres.
Ces paroles me furent dites : — Voici le divin purgatoire de mon amour, où il te faut purifier le temps de cette vie purgative ; puis je t'y ferai trouver un séjour de lumière, et ensuite d'union et de transformation. »
Les jours se succèdent et le Sauveur semble oublier toutes les distances qui séparent le Créateur de la créature.
La Sainte s'en exprime ainsi : « J'ai été mise en un séjour de gloire et de lumière où moi, chétif néant, ai été comblée de tant de faveurs, qu'une heure de cette jouissance est suffisante pour récompenser les tourments de tous les martyrs. » Alors, écrivant encore sous le souffle de l'Esprit-Saint, elle a un passage admirable : « Il épousa mon âme en l'excès de sa charité, mais d'une manière et union inexplicables,
changeant mon coeur en une flamme de feu dévorant de son pur amour, afin qu'il consume tous les amours terrestres qui s'en approcheraient, me faisant entendre que, m'ayant toute destinée à rendre un continuel hommage
à son état d'hostie et de victime au très saint Sacrement, je devais, en ces mêmes qualités,
lui immoler continuellement mon être par amour d'adoration, d'anéantissement et de conformité à la « vie de mort qu'il a dans la sainte Eucharistie (1). »
C'est son Jésus caché sous l'adorable hostie qu'elle prend pour modèle dans toutes ses actions et principalement dans la pratique des trois voeux de religion. « Comme j'allais à la sainte communion, il me fit entendre qu'il venait lui-même imprimer dans mon coeur la sainte vie qu'il mène en l'Eucharistie, vie toute cachée et anéantie aux yeux des hommes, vie de mort, de sacrifice, et qu'il me donnerait la force de faire ce qu'il désirait de moi (2). »
On sent que son âme entre dans une phase nouvelle de vie immolée intense.
Peut-être fut-ce pendant cette même retraite que la sainte Vierge lui apparut, tenant son doux Enfant Jésus. Elle le lui remit entre les bras, disant : « Voilà Celui qui vient t'apprendre ce qu'il faut que tu fasses. » Pressée d'un désir extrême de caresser le divin Enfant, « il me laissa faire tant que je voulus, » écrit-elle naïvement; « et m'étant
lassée à n'en pouvoir plus, il me dit : — Es-tu contente maintenant ? Que ceci te serve pour toujours ; car je veux que tu sois abandonnée à ma puissance, comme tu as vu que j'ai fait. Soit que je te caresse ou que je te tourmente, tu ne dois avoir de mouvements que ceux que je te donnerai (1). »
Sur la fin de l'année 1684, la maîtresse des novices tomba dangereusement malade. Il fallait songer à la remplacer. La Mère Melin n'eut, sans doute, pas beaucoup à réfléchir pour fixer son choix sur la Servante de Dieu. En voici une des raisons. Dans sa déposition au Procès de 1715, la Soeur Péronne-Rosalie de Farges nous apprend qu'elle était charmée d'entendre la, Soeur Alacoque parler de Dieu et de l'estime qu'on doit avoir de l'obéissance. Et: elle ajoute : « C'est cette haute idée que la déposante et d'autres, ses compagnes, avaient pour la vénérable Soeur, qui les obligea à supplier la supérieure de la leur donner pour être leur maîtresse, afin que, par son exemple, elles pussent apprendre à avancer dans la perfection dans l'état qu'elles embrassaient (1). »
Il y avait donc maintenant dans la Communauté un courant de vénération qui se portait vers la Soeur Alacoque et ce courant commençait à
entraîner irrésistiblement les âmes à elle, ou plutôt par elle, au Coeur de Jésus. Tout n'était pas fait ; il avait fallu du temps, et il en faudrait encore.... mais qu'importe le temps à Celui qui dispose de l'éternité, et qui, malgré les apparences contraires, sait tout conduire à ses fins !
Le 31 décembre 1684, Soeur Marguerite-Marie devint donc la maîtresse des novices du monastère de Paray-le-Monial.
Dans toute Communauté religieuse, un noviciat est un petit cénacle — mieux encore — un laboratoire sacré, où les âmes doivent se laisser façonner, se dépouillant d'abord du vieil homme pour se revêtir du nouveau. La loi de la transformation est la loi quotidienne des novices ; mais celles qui les dirigent doivent ne jamais perdre de vue que c'est là une oeuvre progressive, qui s'ébauche aux jours du noviciat, pour aller se perfectionnant jusqu'à la profession éternelle. Il faut donc de l'expérience, de la prudence, de la discrétion, une intelligence pratique de la règle, il faut de la charité, de la bonté pour enfanter ainsi les âmes à Notre-Seigneur. Saint François de Sales dit dans ses Constitutions que la directrice doit être : « la douceur, sagesse et dévotion même. » Toutes ces qualités, la Soeur Alacoque les possédait, et de plus, dans sa personne, elles avaient pour couronnement une sainteté extraordinaire. Aussi, cette humble religieuse fut-elle une parfaite directrice. Il n'en pouvait être autrement, puisqu'elle avait pris pour base de son action sur les âmes de ne leur donner que ce qu'elle recevrait elle-même du (176) Coeur de Jésus. Et, de fait, pendant tout le temps qu'elle fut directrice, on peut dire qu'il n'y eut pas d'autre Maître des novices au monastère de Paray que le Sacré Coeur.
Et à une autre : « Voyez, mon enfant, si vous vous amusez à disputer ainsi avec la grâce, en ne lui donnant pas ce qu'elle vous demande, elle se lassera de vous, et vous abandonnera à vous-même. Eh quoi ! est-ce si grand'chose que l'amitié d'une créature, que vous aimiez mieux perdre les bonnes grâces du sacré Coeur de Notre-Seigneur, que de rompre l'attache d'une inclination naturelle ? (2) »
qui corroborait tous ses enseignements avec une invincible force, c'était son exemple. Quelle édification de la voir si douce envers la souffrance ! Au commencement du carême de 1685, elle fut atteinte d'un douloureux mal à un doigt. Il fallut le « fendre avec le rasoir jusqu'à l'os, » écrit-elle à la Mère de Saumaise, « mais le Seigneur soit béni ! (2) »
Bientôt, elle allait avoir sujet de redire cette même exclamation, mais dans une tout autre circonstance, incomparablement consolante, cette fois.
La bouche parle de l'abondance du coeur. Soeur Marguerite-Marie entretenait souvent ses novices du Coeur sacré de Jésus ; c'était avec de tels accents, que ces jeunes âmes en demeuraient comme toutes ravies.
Le terrain était prêt : le grain béni de la dévotion au Sacré Coeur pouvait germer.
Depuis le premier vendredi après l'octave du Saint-Sacrement, auquel on s'était préparé par un défi, que l'on pourrait appeler la journée passée dans le Coeur de Jésus, résidant au saint Sacrement, la sainte maîtresse avait attaché
à l'autel du noviciat un « crayon fait avec de l'encre, »
et représentant le Cœur adorable de Jésus.
Le jour de Sainte-Marguerite approchant et tombant un
vendredi, Soeur Alacoque invita ses novices à dédier au Coeur sacré de Jésus tous les petits
honneurs qu'elles avaient dessein de lui rendre à elle-même, à l'occasion de sa fête — pensée qu'elles accueillirent toutes avec joie.
Quelques fragments d'une feuille manuscrite, contemporaine de l'événement, doivent être cités. Rien ne vaut la charmante naïveté de tels récits. « Nous nous levâmes à minuit et fîmes un autel où nous attachâmes ce crayon, avec tous les ornements que nous avions à notre disposition, ayant été faire le réfectoire pour avoir l'après-prime libre. Mais comme nous ne le fîmes pas avec assez de tranquillité, nous nous attirâmes la correction de notre Mère Melin, que l'on obligea de nous venir trouver à la demi-heure du réveil, à qui nous dîmes nos raisons, dont elle demeura contente.
Après prime, notre bonne maîtresse étant venue à l'ordinaire au noviciat,
elle nous lut une consécration qu'elle avait composée à l'honneur de ce divin Coeur,
et parut fort contente de notre autel, et nous invita à écrire chacune notre consécration, et qu'elle y ajouterait un mot de sa main, selon nos dispositions. Nous ne manquâmes pas à suivre ces ordres, » ajoute la narratrice, qui était certainement une des novices d'alors (1).
Nous sommes à une aurore. Il ne faut pas s'étonner que tout soit si candide et si simple.
Toute cette journée se passa ainsi en louanges
et bénédictions données au Coeur très humble et très doux de Jésus.
En voyant Soeur Marguerite-Marie au milieu de ses enfants, on eût dit un séraphin.
Les âmes du purgatoire ne furent pas oubliées; et, selon une dévotion chère à notre Sainte, elle mena ses novices au lieu de la sépulture, leur faisant réciter quantité de prières pour les bien-aimées défuntes.
Le soir, elle dit à son petit troupeau : « Vous ne pouviez, mes chères Soeurs, me faire un plaisir plus sensible
que d'avoir rendu vos hommages à ce divin Coeur, en vous consacrant toutes à lui.
Que vous êtes heureuses de ce qu'il s'est bien voulu servir de vous pour donner
commencement à cette dévotion!
Il faut continuer de prier afin qu'il règne dans tous les coeurs.
Ah ! quelle joie pour moi que le Coeur adorable de mon divin Maître soit connu, aimé et
glorifié!
Oui, mes chères Soeurs, c'est la plus grande consolation que je puisse avoir en ma vie, rien n'étant capable de me faire plus de plaisir que
de le voir régner. Aimons-le donc !
Mais aimons-le sans réserve, sans exception :
« Donnons tout et sacrifions tout pour avoir ce bonheur, et nous aurons tout en possédant le divin Coeur de Jésus,
qui veut être toutes choses au coeur qui l'aime, mais ce ne sera qu'en souffrant pour lui (1). »
http://efforts.e-monsite.com/pages/toutes-consacrees-au-sacre-coeur.html