En effet, durant ce pèlerinage, celui qui est le plus élevé est celui qui doit le plus craindre et le moins se confier en lui-même. Il vient des jours où ceux mêmes qui ont fait à Dieu un don absolu de leur volonté, et qui, plutôt que de commettre une imperfection, se laisseraient torturer et subiraient mille morts, ont besoin de se servir des premières armes de l'oraison. Ils se voient attaqués de tentations et de persécutions si violentes, qu'il leur faut, pour éviter l'offense de Dieu et se garder du péché, considérer que tout finit, qu'il y a un ciel et un enfer, s'attacher enfin à des vérités de ce genre.
Je reviens maintenant aux artifices du démon et aux douceurs qu'il procure, et je dis que le moyen sûr de les éviter, c'est d'avoir, dès le début de la vie spirituelle, une énergique résolution d'allée toujours par le chemin de la croix, sans désirer les consolations intérieures Le divin Maître lui-même nous a montré ce chemin comme celui de la perfection, quand il a dit: « Prends ta croix, et marche à ma suite. » Il est notre modèle, et en suivant ses conseils, dans l'unique but de lui plaire, nous n'avons rien à craindre. Au reste, l'âme connaîtra, par le profit qu'elle tire de ces délices, que le démon n'en est pas l'auteur; elle peut tomber encore, il est vrai., mais elle trouvera la preuve de l'action de Dieu en elle, dans sa promptitude à se relever, et dans les marques suivantes.
Quand c'est l'esprit de Dieu qui agit, il n'est pas nécessaire de chercher péniblement des considérations pour nous humilier et nous confondre. Le Seigneur lui même enseigne et grave au fond du coeur une humilité vraie, et bien différente de celle que nous pouvons acquérir par nos faibles réflexions. Elle porte dans l'âme une lumière incomparablement plus vive, et la pénètre d'une confusion qui la réduit au néant. Dieu lui montre, avec une souveraine évidence, que de son fonds elle ne possède aucun bien. et plus les grâces dont il la favorise sont grandes, plus cette vue est claire pour elle. Il allume dans l'âme un ardent désir de faire des progrès dans l'oraison et l'affermit dans le dessein de ne jamais l'abandonner, quelles que soient les peines qui s'y rencontrent; ces peines, elle les accepte à l'avance. De plus, il lui inspire une ferme confiance de son salut, mêlée pourtant d'humilité et de crainte. Il bannit bientôt la crainte servile, et met en sa place une crainte filiale, dans un bien plus haut degré de perfection. Cette âme voit. naître en elle un amour de Dieu très dégagé de tout intérêt propre, et elle soupire après les heures de la solitude pour mieux savourer les délices de cet amour. Enfin, pour ne pas me fatiguer à en dire davantage, une telle faveur est pour elle le principe de tous les biens. C'est la saison où les fleurs vont paraître dans leur éclat; il ne leur manque, pour ainsi dire, qu'un souffle pour s'épanouir. Et cela, l'âme le voit d'une vue très claire; il lui est impossible, dans ces heureux moments, de douter de la présence de Dieu en elle. Si cependant elle retombe dans ses fautes et ses imperfections, alors elle s'alarme de tout, et cette crainte lui est salutaire. Ce pendant, la ferme confiance que ces grâces viennent de Notre Seigneur produit plus d'effet que toutes les craintes imaginables, sur certaines âmes naturellement aimantes et sensibles aux bienfaits. Le souvenir des faveurs reçues est plus puissant pour ramener à Dieu des âmes ainsi faites, que la plus vive peinture de tous les châtiments de l'enfer. C'est du moins ce qu'éprouvait la mienne, quoiqu'elle fût si faible dans la vertu.
Devant traiter avec plus d'étendue des marques du bon esprit, je n'en dis pas davantage ici. Si j'ai le bonheur d'en faire une exposition lumineuse, certes elle ne m'aura pas peu coûté. J'espère avec l'aide de Dieu, en écrire d'une manière assez juste. Sans parler de ma propre expérience, qui m'a beaucoup appris, je mettrai à profit les enseignements d'hommes vraiment éminents en sainteté comme en science, que j'ai consultés. On peut, avec une légitime assurance, s'en rapporter à leurs décisions; et de cette manière, les âmes élevées à cet état par la bonté du Seigneur, éviteront les angoisses que j'y ai rencontrées.
On dirait une personne qui, soupirant après la mort, tient déjà en main le cierge bénit, et n'a plus qu'un souffle à exhaler pour se voir au comble de ses désirs. C'est pour l'âme une agonie pleine d'inexprimables délices, où elle se sent presque entièrement mourir à toutes les choses du monde, et se repose dans la jouissance de son Dieu. Je ne trouve point d'autres termes pour peindre ni pour expliquer ce qu'elle éprouve. En cet état, elle ne sait que faire: elle ignore si elle parle, si elle se tait, si elle rit, si elle pleure; c'est un glorieux délire, une céleste folie où l'on apprend la vraie sagesse; enfin, c'est pour elle une manière de jouir souverainement délicieuse.
Depuis cinq ou six ans, je crois, Dieu m'a souvent donné en abondance cette oraison. Mais, je dois le dire, je ne pouvais ni la comprendre, ni l'expliquer aux autres. Aussi avais-je résolu, quand j'en viendrais à cet endroit de ma relation, de n'en point parler, ou de n'en dire que très peu de chose. Il n'y avait pas là, je le comprenais fort bien, union parfaite de toutes les puissances avec Dieu, mais l'âme lui était évidemment plus unie que dans l'oraison précédente; cependant, je ne pouvais discerner ni saisir en quoi consistait cette différence. Je crois, mon père, être redevable de la lumière que Dieu m'a donnée, à l'humilité qui vous a porté à vouloir vous aider d'une simplicité aussi grande que la mienne. Le Seigneur m'a fait entrer aujourd'hui même dans cette oraison, au moment où je venais de communier. Il m'y a comme enchaînée, et il a daigné lui-même me suggérer ces comparaisons; il m'a enseigné la manière de parler de cet état, et ce que l'âme doit faire quand elle y est élevée. J'en ai été saisie d'étonnement, car j'ai tout compris en un instant.
Je m'étais souvent vue en proie à ce délire et enivrée de cet amour, sans jamais comprendre comment cela se faisait. Je reconnaissais visiblement l'action de Dieu, mais je ne pouvais saisir de quelle manière il opérait en moi. En effet, les puissances de l'âme sont presque entièrement unies à Dieu, mais elles ne sont pas tellement perdues en lui qu'elles n'agissent encore. Enfin, je viens d'en avoir l'intelligence, et j'en suis au comble du bonheur. Béni soit le Seigneur qui a bien voulu me ménager un tel plaisir!
Les puissances de l'âme s'occupent entièrement de Dieu, sans être capables d'autre chose. Aucune d'elles n'ose remuer, et l'on ne peut les mettre en mouvement. Pour les distraire de cette occupation, il faudrait un grand effort, et encore on n'y parviendrait pas complètement. On s'épanche alors en louanges à Dieu, mais sans ordre, à moins que le Seigneur lui-même n'en mette; car pour cela l'entendement est au moins inutile. L'âme, hors d'elle-même, agitée des plus doux transports, souhaiterait faire éclater sa voix en cantiques de bénédiction. Déjà les fleurs entrouvrent leur calice, et répandent leurs premiers parfums. Ici, l'âme voudrait être vue de toutes les créatures et leur manifester sa gloire, afin de pouvoir, de concert avec elles, offrir à Dieu un plus beau sacrifice de louanges. Elle brûle du désir de partager avec elles un bonheur sous le poids duquel elle succombe Elle est comme la femme de l'Évangile, qui appelle ses voisines et les convie à partager sa joie. Tels devaient être les transports du royal prophète, de David, quand il entonnait sur sa harpe des hymnes en l'honneur de Dieu. J'ai pour ce saint roi une grande dévotion, et je souhaiterais ardemment levoir ainsi honoré de tous, en particulier de ceux qui, comme moi, ont offensé le Seigneur.
ciel! que n'éprouve pas une âme lorsqu'elle en est là! Elle voudrait être toute convertie en langues pour louer le Seigneur. Elle dit mille saintes folies, qui charment Celui qui la met en cet état. Je connais une personne qui, pour peindre sa peine, improvisait alors, sans être poète, des vers pleins de sentiment; ce n'était pas un travail de son esprit, mais une plainte qu'elle adressait à son Dieu, pour mieux jouir de la gloire où la plongeait une peine si délicieuse. Elle eût voulu que tout son être, corps et âme, éclatât, pour montrer au dehors l'excès de bonheur que lui causait cette peine. Il lui eût été doux alors d'affronter les plus cruels tourments pour son Dieu. Une âme, dans cet état, voit clairement que les martyrs ne faisaient presque rien de leur part en endurant les supplices, parce que cette force leur venait d'une autre source. Mais aussi quelle souffrance pour elle, lorsqu'elle se voit condamnée à vivre encore en ce monde, sous la loi de ses sollicitudes et de ses devoirs! On en jugera si l'on songe que tous les termes de comparaison employés par moi sont bien au-dessous de ces joies, dont Dieu daigne parfois l'enivrer en cet exil.
Soyez à jamais béni, Seigneur, et que toutes les créatures chantent éternellement vos louanges! O mon Roi! exaucez en ce moment ma prière. Puisque, par votre bonté et votre miséricorde, je suis encore, en écrivant ceci, possédée de cette sainte et céleste folie; puisque vous m'accordez, grand Dieu, une faveur dont je suis si indigne, faites, je vous en supplie, que tous ceux avec qui j'aurai des rapports deviennent fous de votre amour, ou ne permettez point que je parle désormais à qui que ce soit. Préservez-moi, Seigneur, de tenir par le plus petit lien à ce monde, ou retirez-moi soudain de ce misérable séjour. Non, mon Dieu, votre servante il ne peut supporter plus longtemps le supplice de se voir sans vous. Si elle doit vivre encore, elle ne veut pas de repos en cette vie, et vous, Seigneur, gardez-vous de lui en donner. Cette âme voudrait déjà être libre: le manger la tue, le dormir la tourmente; elle voit que le temps de la vie se passe à prendre mille soulagements, et que rien cependant ne peut désormais la satisfaire hors de vous. Elle vit, ce semble, contre nature, puisqu'elle voudrait vivre, non en elle, mais en vous. O mon vrai maître et ma gloire, que la croix réservée par vous aux âmes qui arrivent à cet état est légère et pesante! légère, par sa douceur; pesante, parce qu'il est des temps où la plus invincible patience ne saurait la soutenir. Et toutefois, l'âme ne voudrait point en être déchargée, si ce n'est pour se. voir avec vous. Quand elle se souvient qu'elle n'a rien fait pour vous, et qu'en vivant elle peut vous rendre quelque service, elle voudrait porter une charge beaucoup plus pesante encore, et ne mourir qu'au dernier jour du monde. Avec quelle joie elle sacrifie son repos au bonheur de vous rendre le plus petit service! Elle ne sait que désirer, mais elle connaît bien que vous êtes l'unique objet de ses désirs.
O mon fils, vous à qui j'adresse cette relation et qui m'avez commandé de l'écrire, gardez pour vous seul les passages où vous trouverez que je sors des bornes.
Comment me serait-il possible de rester dans ma raison, quand le Seigneur me met hors de moi? S'il faut dire ma pensée, ce n'est plus moi qui parle depuis que j'ai communié ce matin; tout ce que je vois me semble un songe, et je ne voudrais voir que des malades du mal qui me possède. Je vous en supplie, mon père, soyons tous insensés pour l'amour de Celui qui pour nous a voulu passer pour tel. Vous dites que vous m'êtes dévoué; eh bien! je veux que vous m'en donniez la preuve, en vous disposant à recevoir de Dieu cette faveur. Hélas! j'en vois bien peu qui n'aient un excès de sagesse pour ce qui les touche. Peut-être suis-je moi-même en cela plus répréhensible que tous les autres. Je vous en conjure, ne le souffrez pas, mon père; car vous êtes mon père, puisque vous êtes mon confesseur, et que je vous ai confié mon âme. Hâtez-vous de me détromper, et ne craignez pas de me dire la vérité, avec cette pleine franchise si peu connue de nos jours.
Les prédicateurs eux-mêmes visent dans leurs discours à ne point déplaire. Leur intention est bonne, ainsi que leur conduite, je veux bien le croire; mais enfin, de cette manière, ils convertissent peu de monde. Pourquoi ne sont-ils pas en plus grand nombre, ceux que les sermons arrachent aux vices publics? Savez-vous ce qu'il m'en semble? C'est qu'il y a dans les prédicateurs trop de prudence mondaine. Elle ne disparaît pas chez eux, comme chez les apôtres, dans cette grande flamme de l'amour de Dieu; voilà pourquoi leur parole embrase si peu les âmes. Je ne dis pas que leur feu doive égaler celui des apôtres, mais je voudrais le voir plus grand qu'il n'est. Voulez-vous savoir ce qui communiquait ce feu divin à la parole des apôtres? C'est qu'ils avaient la vie présente en horreur, et foulaient aux pieds l'honneur du monde. Quand il fallait dire une vérité et la soutenir pour la gloire de Dieu, il leur était indifférent de tout perdre ou de tout gagner. Quiconque a tout hasardé pour Dieu domine également et les succès et les revers. Je ne dis pas que je suis telle, mais je voudrais bien l'être. Oh! de quelle magnifique liberté ne jouit pas celui qui regarde comme un esclavage d'avoir à vivre et à converser avec les humains d'après les lois du monde! Dans l'espoir d'obtenir de Dieu une liberté si belle, est-il un esclave qui ne doive être prêt à tout risquer pour se racheter, et pour revoler vers sa patrie? Or, voilà le vrai chemin qui y conduit; point de halte donc d'ici au dernier soupir, puisque la mort seule doit nous mettre en possession d'un pareil trésor. Daigne le Seigneur nous soutenir de sa grâce, et nous faire arriver à ce terme!
Il faut alors, ainsi qu'il vous a été dit, mon père, s'abandonner sans réserve entre les bras de Dieu. Veut-il emporter l'âme au ciel, qu'elle y aille; en enfer, elle y va sans peine, étant avec son souverain bien. Faut-il mourir à l'instant même, faut-il vivre mille ans, la volonté de Dieu est son désir. Le Seigneur peut disposer d'elle comme d'un bien qui est à lui. Cette âme ne s'appartient plus; elle a fait à Dieu un don total et absolu d'elle-même; qu'elle se décharge sur lui de toute sollicitude.
L'âme peut accomplir tout cela, et beaucoup plus encore, dans une oraison si élevée; car ces actes en sont les effets ordinaires, et elle voit qu'elle les produit sans aucune fatigue de l'entendement. Seulement cette puissance me paraît comme stupéfaite de voir le Seigneur remplir si bien l'office de jardinier, et ne lui laisser d'autre travail que celui de respirer avec délices les premiers parfums des fleurs. Une seule visite, si courte qu'elle soit, suffit à un tel jardinier pour répandre sans mesure cette eau dont il est le créateur. En un instant, il enrichit l'âme de trésors qu'elle n'aurait peut-être pu amasser par tous les efforts de l'esprit, en vingt années de labeur. Ce céleste Jardinier fait croître et mûrir les fruits; il vent que l'âme en cueille pour elle, mais il lui interdit d'en distribuer, jusqu'à ce qu'elle ait puisé dans cette nourriture une grande vigueur. Sinon, elle serait exposée à tout dissiper en prodigalités, sans rien réserver pour son propre avantage; et, nourrissant à ses dépens des étrangers sans rien recevoir d'eux en retour, elle se verrait peut-être en danger de mourir de faim. Ceci sera parfaitement entendu des hommes éclairés qui liront cet écrit, et ils en feront l'application beaucoup mieux que je ne pourrais le faire en me fatiguant vainement.
L'âme, de même, satisfaite par le bonheur qu'elle possède en soi, n'a que du dédain pour tous les plaisirs du monde, qui n'ont pour elle aucun attrait; mais jouir plus encore de son Dieu, goûter davantage le bonheur de lui être unie, soupirer après l'accomplissement de ses désirs, voilà ce qu'elle veut.
Dans l'union dont je parle, et qui m'est très souvent accordée, Dieu s'empare de la volonté, et de l'entendement aussi, ce me semble; car cessant de discourir, il reste absorbé dans la jouissance et la contemplation de Dieu. Il découvre alors tant de merveilles, que l'une lui faisant perdre l'autre de vue, il ne peut s'attacher à aucune en particulier et est inca able d' en rien faire connaître.
Quant à la mémoire, elle reste libre, et apparemment, l'imagination se joint à elle. Comme elle se trouve seule, il n'est pas croyable quelle guerre elle fait à l'entendement et à la volonté, pour troubler leur repos. Pour moi, j'en suis excédée, et je l'ai en horreur; souvent, je supplie Dieu de me l'ôter dans ces heures de bonheur, si elle doit m'être si importune. D'autres fois je lui dis: Quand donc, mon Dieu, les puissances de mon âme, au lieu de subir ce cruel partage qui ne me laisse pas maîtresse de moi-même, s'occuperont-elles toutes de concert à célébrer vos louanges? Je découvre alors quel mal nous a fait le péché; c'est lui qui empêche notre volonté d'être toujours occupée de Dieu comme elle en aurait le désir. Aujourd'hui encore j'ai eu à soutenir ces combats intérieurs, assez fréquents chez moi; aussi le souvenir m'en est bien présent. Je sentais mon âme ne consumer du désir de se voir unie au divin objet qui la possède presque tout entière. Inutiles efforts; la mémoire et l'imagination me livraient une guerre trop acharnée. Mais, manquant du concours de l'entendement et de la volonté, si elles troublent l'âme elles ne peuvent lui faire de mal; elles restent impuissantes pour nuire, et sont dans une mobilité continuelle.
Le Seigneur semble avoir voulu se servir de moi pour faire connaître, autant du moins qu'il est possible en cette vie, les différents états où l'âme se voit élevée dans cette oraison. Vous pourrez, mon père, conférer de cet écrit avec quelque personne spirituelle et savante qui soit arrivée jusqu'à cette union.
Si elle l'approuve, croyez que c'est Dieu qui vous a parlé par mon organe, et ne manquez pas de lui en rendre les plus vives actions de grâces. Un jour, je me plais à vous le redire, vous éprouverez un grand plaisir à comprendre ce que sont en elles-mêmes des faveurs si élevées. Supposé que Dieu vous les ait déjà accordées, au moins dans le premier degré, mais sans vous en donner l'intelligence: avec un esprit tel que le vôtre et une science aussi profonde, il vous suffira de ce que je viens d'écrire pour acquérir cette lumière. Le Seigneur soit béni et loué dans les siècles des siècles! Amen.
Elle sent qu'elle jouit d'un bien qui enferme en lui seul tous les biens, et toutefois la nature de ce bien reste incompréhensible pour elle. Tous les sens sont tellement occupés par cette jouissance, que nul d'entre eux ne peut, ni à l'intérieur, ni à l'extérieur, s'appliquer à autre chose. Auparavant il leur était permis, comme je l'ai dit, de donner quelques signes de l'excès de leur bonheur. Ici, le plaisir qui inonde l'âme est sans comparaison plus grand, et peut bien moins se manifester; l'âme et le corps sont également impuissants à le communiquer. Tant qu'il dure, toute occupation étrangère serait un grand embarras, un tourment, et un obstacle à un si doux repos. Je dis plus: quand toutes les puissances sont ainsi unies à Dieu, l'âme ne pourrait, quand même elle le voudrait, s'occuper d'autre chose; et si elle en était capable, cette union n'existerait pas.
Quant à la nature et au mode de cette oraison qu'on appelle union, je ne saurais les faire comprendre. L'explication s'en trouve dans la théologie mystique, et moi j'ignore jusqu'aux termes de cette science. Je ne sais pas non plus ce qu'est en soi l'intelligence, ni l'esprit, ni comment ils diffèrent de l'âme; ce n'est à mes yeux qu'une seule chose. L'âme, il est vrai, sort quelquefois d'elle-même, semblable à un feu qui, en brûlant, jette des flammes; l'activité du feu redouble-t-elle avec impétuosité, alors aussi la flamme s'élance bien haut au-dessus du brasier, mais elle n'est pas d'une autre nature, et c'est toujours la flamme du foyer. Instruits comme vous l'êtes, mes pères, vous comprendrez facilement ceci; quant à moi, je ne saurais en dire davantage.
Suite !!
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