MARGUERITE-MARIE EST CHOISIE DE DIEU POUR MANIFESTER AUX HOMMES « LE DERNIER EFFORT DE SON AMOUR. ». LES GRANDES RÉVÉLATIONS DU SACRÉ COEUR.
« Je m'oubliai de moi-même et du lieu où j'étais et je m'abandonnai à ce divin Esprit, livrant mon [cœur] à la force de son amour. Il me fit reposer fort longtemps sur sa divine poitrine, où il me découvrit les merveilles de son amour et les secrets inexplicables de son sacré Coeur, qu'il m'avait toujours tenus cachés jusqu'alors, qu'il me l'ouvrit pour la première fois, mais d'une manière si effective et sensible, qu'il ne me laissa aucun lieu d'en douter, pour les effets que cette grâce produi[sit] en moi, qui (68) crains pourtant toujours de me tromper en tout ce que je dis se passer en moi.
Et voici comme il me semble la chose s'être passée
« Il me dit : — Mon divin Coeur est si passionné d'amour pour les hommes, et pour toi en particulier, que, ne pouvant plus contenir en lui-même les flammes de son ardente charité, il faut qu'il les répande par ton moyen, et qu'il se manifeste à eux, pour les enrichir de ses précieux trésors que je te découvre, et qui contiennent les grâces sanctifiantes et salutaires nécessaires pour les retirer de l'abîme de perdition ; et je t'ai choisie comme un abîme d'indignité et d'ignorance pour l'accomplissement de ce grand dessein, afin que tout soit fait par moi. —
« Après, il me demanda mon coeur, lequel je le suppliai de prendre, ce qu'il fit, et le mit dans le sien adorable, dans lequel il me le fit voir comme un petit atome, qui se consommait dans cette ardente fournaise, d'où le retirant comme une flamme ardente en forme de coeur, il [le] remit dans le lieu où il l'avait pris, en me disant : — Voilà, ma bien-aimée, un précieux gage de mon amour, qui renferme dans ton côté une petite étincelle de ses plais vives flammes, pour te servir de coeur et te consommer jusqu'au dernier moment, et dont l'ardeur ne s'éteindra, ni ne pourra trouver de rafraîchissement que quelque peu dans la saignée, dont je marquerai tellement le sang de ma croix, qu'elle t'apportera plus d'humiliation et de souffrance que de soulagement. (69) C'est pourquoi je veux que tu la demandes simplement, tant pour pratiquer ce qui vous est ordonné que pour te donner la consolation de répandre ton sang sur la croix des humiliations. Et pour marque que la grande grâce que je te viens de faire n'est point une imagination, et qu'elle est le fondement de toutes celles que j'ai encore à te faire, quoique j'aie refermé la plaie de ton côté, la douleur t'en restera pour toujours ; et si, jusqu'à présent, tu n'as pris que le nom de mon esclave, je te donne celui de la disciple bien-aimée de mon sacré Coeur. —
« Après une faveur si grande et qui dura une si longue espace (1) de temps, pendant lequel je ne savais si j'étais au ciel ou en terre, je demeurai plusieurs jours comme toute embrasée et enivrée, et tellement hors de moi que je ne pouvais en revenir pour dire une parole qu'avec violence, et m'en fallait faire une si grande pour me récréer et pour manger que je me trouvais au bout de mes forces pour surmonter ma peine : ce qui me causait une extrême humiliation. Et je ne pouvais dormir, car cette plaie, dont la douleur m'est si précieuse, me cause de si vives ardeurs qu'elle me consomme et me fait brûler toute vive. Et je me sentais une si grande plénitude de Dieu, que je ne pouvais m'exprimer à ma supérieure comme je l'aurais souhaitée (2). » Certes, on le comprend !
Pour une âme aussi profondément humble que l'était celle de notre Sainte, quelle agonie intérieure de se voir forcée d'aller déclarer de semblables révélations ! Elle, qui eût ambitionné voir l'univers entier l'accabler d'injures et de mépris, ou du moins, qui se fût sentie soulagée si on lui eût permis de faire sa confession générale en plein réfectoire, pour mieux découvrir le fonds de corruption qu'elle croyait renfermer, elle, venir avouer que le Roi du ciel et de la terre la choisissait pour manifester son amour au monde!... N'était-ce point une folie de son orgueil de croire elle-même que le Seigneur lui avait effectivement parlé ainsi?... Elle abandonna toutes ces réflexions à la merci de l'obéissance, se contentant de rapporter le fait à la Mère de Saumaise, appelée à recevoir bientôt d'autres confidences, non moins extraordinaires.
Le Coeur de Jésus n'avait pas dit son dernier mot à Soeur Marguerite-Marie. Elle va le voir encore, et ce sera tel qu'elle l'aura vu et qu'elle le dépeindra, que les âmes aimeront, dans la suite, à contempler le Sacré Coeur.
« Ce Coeur divin me fut représenté », dit-elle, « comme dans un trône tout de feu et de flammes, rayonnant de tous côtés, plus brillant que le soleil et transparent comme un cristal. La plaie qu'il reçut sur la Croix y paraissait visiblement. Il y avait une couronne d'épines autour de ce divin Coeur et une croix au-dessus. Mon divin Maître me fit entendre que ces instruments de sa Passion signifiaient que l'amour immense qu'il a eu pour les hommes avait été la source (71) de toutes ses souffrances; que, dès le premier instant de son Incarnation, tous ces tourments lui avaient été présents, et que ce fut dès ce premier moment que la croix fut, pour ainsi dire, plantée dans son Coeur ; qu'il accepta, dès lors, toutes les douleurs et humiliations que sa sainte Humanité devait souffrir pendant le cours de sa vie mortelle, et même les outragés auxquels son amour pour les hommes l'exposait jusqu'à la fin des siècles, dans le saint Sacrement. Il me fit connaître ensuite que le grand désir qu'il avait d'être parfaitement aimé des hommes lui avait fait former le dessein de leur manifester son Coeur, et de leur donner, dans ces derniers siècles, ce dernier effort de son amour, en leur proposant un objet et un moyen si propre pour les engager à l'aimer, et à l'aimer solidement, leur ouvrant tous les trésors d'amour, de miséricorde, de grâce, de sanctification et de salut qu'il contient, afin que tous ceux qui voudraient lui rendre et lui procurer tout l'honneur et l'amour qui leur serait possible, fussent enrichis avec profusion des divins trésors dont il est la source féconde et inaltérable.
Il m'a encore assuré qu'il prenait un singulier plaisir d'être honoré sous la figure de ce Coeur de chair, dont il voulait que l'image fût exposée en public, afin, ajouta-t-il, de toucher le coeur insensible des hommes, me promettant qu'il répandrait avec abondance sur le coeur de tous ceux qui l'honoreront tous les trésors de grâces dont il est rempli
et que partout où cette image (72) serait exposée, pour y être singulièrement honorée,
elle y attirerait toutes sortes de bénédictions. « Mais, voici cependant ce qui [me] causa une espèce de supplice, qui me fut plus sensible que toutes les autres peines dont j'ai parlé : c'est lorsque cet aimable Coeur me fut présenté, avec ces paroles: — J'ai une soif ardente d'être honoré des hommes dans le saint Sacrement, et je ne trouve presque personne qui s'efforce, selon mon désir, de me désaltérer, usant envers moi de quelque retour (1). »
C'en était trop pour une âme aussi aimante. La pensée que le souverain Amour n'était pas aimé lui devint comme un glaive qui transperçait incessamment son coeur.
En 1674, la Servante de Dieu n'était plus seconde infirmière ; elle venait d'être nommée maîtresse des Soeurs du petit habit (1). Large et simple était sa méthode d'éducation : inculquer à ces jeunes âmes l'horreur du vice, l'amour de la vertu, par conséquent le véritable amour de Dieu, tels étaient ses principes.
Elle était indulgente et bonne pour les fautes de son petit troupeau ; tout était pardonné facilement, à l'exception du mensonge et des rapports, qu'elle corrigeait vivement (1). A plusieurs reprises, elle fut ainsi chargée de celles qu'on nomme, à la Visitation, nos chères Petites Sœurs. Or, quelles que soient les années auxquelles les dépositions de 1715 font allusion, les témoignages sont unanimes (2). Un ange du ciel n'aurait pas inspiré plus de vénération à ce petit groupe d'enfants que l'humble Soeur Alacoque.
Aussi, tout ce qu'elles en reçoivent comme récompenses pieuses, images ou chapelets, elles le tiennent pour des reliques. Elles demandent en grâce qu'on leur donne de ses cheveux, quand on les lui coupe. La jeune Marie Chevalier de Montroüan a parfois la curiosité de l'observer en oraison, et court « avertir les autres de venir voir comme leur sainte priait Dieu. » La même s'aperçoit que leur maîtresse vit de mortification plus que de tout le reste, et elle lui en voit faire des actes héroïques ; entre autres, un jour, où elle la surprend à lécher un ulcère survenu au pied d'une de ses petites compagnes. Toutes remarquent en Soeur Marguerite-Marie quelque chose d'extraordinaire.
Le fait est que la volonté de Dieu s'imposait
désormais sans réplique à cette âme. Comme un géant, le, soleil du Sacré Coeur s'est levé sur elle. Impossible de se dérober à sa chaleur (1). Et ce soleil . divin va encore se manifester à elle dans une nouvelle lumière et un nouvel éclat.
Le Seigneur a véritablement placé son tabernacle sur les hauteurs et son élue doit y monter pour y demeurer avec lui. Quis ascendet in montem Domini ? aut quis stabit in loco sancto ejus ? Innocens manibus et munndo corde (2).
Les premiers vendredis du mois, elle était conviée à d'ineffables délices. « Ce sacré Coeur m'était « représenté comme un soleil brillant d'une éclatante lumière, dont les rayons tout ardents donnaient à plomb sur mon coeur, qui se sentait d'abord embrasé d'un feu si ardent qu'il me semblait m'aller réduire en cendres, et c'était particulièrement en ce temps-là que ce divin Maître m'enseignait ce qu'il voulait de moi, et me découvrait les secrets de cet aimable Coeur. Et une fois, entre les autres, que le saint Sacrement était exposé, après m'être sentie retirée toute au-dedans de moi-même, par un recueillement extraordinaire de tous mes sens et puissances, Jésus-Christ, mon doux Maître, se présenta à moi, tout éclatant de gloire, avec ses cinq plaies, brillantes comme cinq soleils, et de cette sacrée Humanité, sortaient des flammes de toute part, mais surtout de son adorable poitrine, qui ressemblait
une fournaise, et, s'étant ouverte, me découvrit son tout aimant et tout aimable Coeur, qui était la vive source de ces flammes.
Ce fut alors qu'il me découvrit les merveilles inexplicables de son pur [amour] et jusqu'à quel excès il l'avait porté d'aimer les hommes, dont il ne recevait que des ingratitudes et méconnaissances. — Ce qui m'est beaucoup plus sensible, me dit-il, que tout ce que j'ai souffert en ma Passion; d'autant que s'ils [me] rendaient quelque retour [d']amour, j'estimerais peu tout ce que j'ai fait pour eux, et voudrais, s'il se pouvait, en faire encore davantage. Mais ils n'ont que des froideurs et du rebut pour tous mes empressements à leur faire du bien. Mais, du moins, donne-moi ce plaisir de suppléer à leurs ingratitudes autant que tu en pourras être capable. — Et lui remontrant mon impuissance, il me répondit: —Tiens, voilà de quoi suppléer à tout ce qui te manque. — Et en même temps ce divin Coeur s'étant ouvert, il en sortit une flamme si ardente que je pensais en être consommée ; car j'en fus toute pénétrée et ne pouvais plus la soutenir, lorsque je lui demandai d'avoir pitié de ma faiblesse. — Je serai ta force, me dit-il, ne crains rien, mais sois attentive à ma voix et à ce que je te demande pour te disposer à l'accomplissement [de] mes desseins.
Premièrement; tu me recevras dans le saint Sacrement, autant que l'obéissance te le voudra permettre, quelque mortification et humiliation, qui t'en doivent arriver, lesquelles tu dois recevoir comme (76) des gages de mon amour.
Tu communieras, de plus, tous les premiers vendredis de chaque mois. Et toutes les nuits du jeudi au vendredi je te ferai participer à cette mortelle tristesse que j'ai bien voulu sentir au jardin des Olives, et laquelle tristesse te réduira, sans que tu la puisses comprendre, à une espèce d'agonie, plus rude à supporter que la mort. Et pour m'accompagner dans cette humble prière que je présentai alors à mon Père parmi toutes mes angoisses, tu te lèveras entre onze heures et minuit, pour te prosterner pendant une heure avec moi, la face contre terre, tant pour apaiser la divine colère, en demandant miséricorde pour les pécheurs, que pour adoucir en quelque façon l'amertume que je sentais de l'abandon de mes apôtres, qui m'obligea à leur reprocher qu'ils n'avaient pu veiller une heure avec moi, et pendant cette heure, tu feras ce que je t'enseignerai (1). Mais écoute, ma fille, ne crois pas légère« ment à tout esprit, et ne t'y fie pas ; car Satan enrage de te décevoir; c'est pourquoi ne fais rien sans l'approbation de ceux qui te conduisent, afin qu'ayant l'autorité de l'obéissance, il ne te
puisse tromper, car, il n'a point de pouvoir sur les obéissants (1). »
Avec son habituelle simplicité, la Sainte poursuit : « Et pendant tout ce temps, je ne me sentais pas, ni ne savais plus où j'en étais, lorsqu'on me vint retirer de là. Et voyant que je ne pouvais répondre, ni même me soutenir qu'avec grand'peine, l'on me mena à notre Mère, laquelle me trouvant comme tout hors de moi-même, toute brûlante et tremblante, me jetant par terre à genoux, où elle me mortifia et humilia de toutes ses forces, ce qui me faisait un plaisir et me donnait une joie incroyable. Car je me sentais tellement criminelle et remplie de confusion, que, quelque rigoureux traitement qu'on m'eût pu faire, il m'aurait semblé trop doux. Et après lui avoir dit, quoiqu'avec une extrême confusion, ce qui s'était passé, elle se prit encore à m'humilier davantage, sans me rien accorder, pour cette fois, de tout ce que je croyais que Notre-Seigneur me demandait de faire, et. ne traitant qu'avec mépris tout ce que je lui avais dit. Cela me consola beaucoup et je me retirai avec une grande paix (2). »
Cet aveu fait, elle reprend : « Et le feu qui me dévorait me jeta d'abord dans une grande fièvre continue ; mais j'avais trop de plaisir à souffrir pour m'en plaindre, n'en parlant point jusqu'à ce que les forces me manquèrent, que le médecin (3)
connut qu'il y avait fort longtemps que je la portais; et elle me dura encore plus de soixante accès. Et jamais je n'ai tant senti de consolation, car tout mon corps souffrant d'extrêmes [douleurs], cela soulageait un peu l'ardente soif que j'avais de souffrir. Car ce feu dévorant ne se nourrissait ni contentait que du bois de la croix, de toute sorte de souffrances, mépris, humiliations et douleurs, et jamais je ne sentais de douleur qui pût égaler celle que j'avais de ne pas assez souffrir. L'on croyait que j'en mourrais (1). »
Mais Celui qui est la vie ne la laissa pas tomber dans la mort. Pendant une défaillance qu'elle eut, les trois Personnes de l'adorable Trinité daignèrent la visiter, et firent sentir d'inexprimables consolations à son âme. « I[1] me sembla que le Père éternel, me présentant une fort grosse croix toute hérissée d'épines, accompagnée de tous les autres instruments de la Passion, il me dit : — Tiens, ma fille, je te fais le même présent qu'à mon Fils bien-aimé. — Et moi, me dit mon Seigneur Jésus-Christ, je t'y attacherai comme j'y ai été attaché, et je t'y tiendrai fidèle compagnie. — Et la troisième de ces adorables Personnes me dit que lui, qui n'était qu'amour, m'y consommerait en me purifiant. Mon âme demeura dans une paix et joie inconcevable, car l'impression qu'y firent ces divines Personnes ne s'est jamais effacée (2). »
Cependant, la Soeur Alacoque était toujours malade, et son désir de la sainte communion devenait si intense que, lui eût-il fallu marcher pieds nus sur un chemin de flammes, cette peine ne lui eût rien été, en comparaison de la douleur d'être privée de ce pain de vie. Un jour, malgré une faiblesse excessive, elle se sent pressée d'aller au choeur pour communier, tout en reconnaissant qu'elle ne le pourra, si Celui qui l'attire ne la soutient. « Il me sembla que, me touchant de sa main, il me dit : — Que crains-tu, fille de peu de foi ? Lève-toi et me viens trouver ! » Ce mot la fait tressaillir. Elle se lève à l'insu de l'infirmière. Mais celle-ci veut que la malade se recouche immédiatement, en dépit de l'assurance qu'elle donne de sa santé. « Notre Mère me reprit de l'attache que j'avais à ma volonté, » écrit humblement la Sainte ; « je ne lui en dis pas le sujet, crainte que ce ne fût une imagination et qu'elle le crût une vérité (1). » Quoi qu'il en soit, la Mère de Saumaise lui ordonna bientôt de demander sa santé à Notre-Seigneur. Elle s'y soumit, redoutant d'être exaucée. Mais on lui dit que ce serait le signe auquel on reconnaîtrait si tout ce qui se passait en elle venait de l'Esprit de Dieu. Si Notre-Seigneur la guérissait, on lui permettrait ce qu'il lui avait commandé, tant pour la communion des premiers vendredis, que pour l'heure de veille du jeudi au vendredi. Par obéissance, elle exposa donc le tout à Notre-Seigneur. « Je ne manquai
pas de recouvrer aussitôt la santé, » ajoute-t-elle, comme une chose qui allait de soi-même. Ne connaissait-elle pas assez déjà le Coeur de son Jésus, pour être sûre de lui ?
Mais en cette circonstance, Notre-Seigneur voulut laisser à sa sainte Mère la joie de guérir sa fille très aimée. En effet, la sainte Vierge apparut à Marguerite-Marie, lui « fit de grandes caresses, » l'entretint longtemps et lui dit : « Prends courage, ma chère fille, dans la santé que je te donne de la part de mon divin [Fils], car [tu as] encore un long et pénible chemin à faire, toujours dessus la croix, percée de clous et d'épines, et déchirée de fouets ; mais ne crains rien, je ne t'abandonnerai et te promets ma protection (1). »
Une âme élevée à un tel degré d'union à Dieu pouvait s'attendre à une souveraine jalousie de la part de Celui qui la comblait sans mesure de ses grâces. Une fois, sur quelque faute qu'elle avait faite, son divin Maître lui donna cette leçon : « Apprends que je suis un Maître saint et qui enseigne la sainteté. Je suis pur et ne peux souffrir la moindre tache. C'est pourquoi il faut que tu agisses en simplicité de coeur, avec une intention droite et pure en ma présence. Car je ne [peux] souffrir le moindre détour, et je te ferai connaître que si l'excès de mon amour m'a porté à me rendre ton maître, pour t'enseigner et te façonner à ma mode et selon mes desseins, que je ne peux supporter les âmes tièdes et lâches,
et que, si je suis doux à supporter tes faiblesses, je ne serai pas moins sévère et exact à corriger et punir tes infidélités (1). »
Une autre fois, Soeur Marguerite-Marie s'étant laissée aller à quelque mouvement de vanité en parlant d'elle-même, « ô mon Dieu ! combien de larmes et de gémissements me causa cette faute ! » s'écrie-t-elle: « Car, lorsque nous fûmes seul à seule, il me reprit en cette manière et d'un visage sévère : — Qu'as-tu, ô poudre et cendre, de quoi te pouvoir glorifier, puisque tu n'as rien de toi que le néant et la misère, que tu ne dois jamais perdre de vue, non plus que sortir de l'abîme de ton néant ? Et afin que la grandeur de mes dons ne te fasse méconnaître et oublier de ce que tu es, je t'en veux mettre « le tableau devant les yeux. » Et cette parole s'effectuant à l'heure même, le Dieu de toute pureté mit devant elle un tableau où se trouvait en raccourci tout ce qu'elle était. La vue de cette horrible peinture la bouleversa au point qu'elle n'aurait pu la soutenir, sans là miséricorde de son Bien-Aimé, vers lequel son âme lançait ce cri de supplication : « O mon Dieu, hélas ! ou faites-moi mourir, ou cachez ce tableau ! (2) »
Le Seigneur l'a dit : Ses pensées ne sont pas nos pensées — ses voies ne sont pas nos voies (3). En effet,
il avait envers sa servante une manière d'agir dont nous comprenons à peine le mystère.
Elle s'en explique ainsi : « Quelque grandes que soient mes fautes, cet unique Bien de mon âme ne me prive jamais de sa divine présence, ainsi comme il me l'a promis. Mais il me la rend si terrible, lorsque je lui ai déplu en quelque chose, qu'il n'y a point de tourment qui ne me fût plus doux et auquel je ne me sacrifiasse plutôt mille fois que de supporter cette divine présence et paraître devant la sainteté de Dieu, ayant l'âme souillée de quelque péché ! Et j'aurais bien voulu me cacher en ce temps-là, et m'éloigner si j'avais pu; mais tous mes efforts étaient inutiles, trouvant partout ce que je fuyais, avec des tourments si effroyables qu'il me semblait être en purgatoire, puisque tout souffrait en moi, sans nulle consolation ni désir d'en chercher, ce qui me faisait dire quelquefois dans ma douloureuse amertume : oh ! qu'il est terrible de tomber entre les mains d'un Dieu vivant ! (1) »
Toutefois, pouvait-elle se plaindre ? Notre-Seigneur ne l'avait-il pas prévenue qu'il lui serait en même temps joie et supplice ? (2)
Un autre jour, le Sauveur lui fit cette question « Ma fille, me veux-tu bien donner ton coeur, pour faire reposer mon amour souffrant que tout le monde méprise ? — Mon Seigneur, vous savez que je suis toute à vous ; faites selon votre
désir. — Il me dit : — Sais-tu bien à quelle fin je te donne mes grâces si abondamment ?
C'est pour te rendre comme un sanctuaire, où le feu de mon amour brûle continuellement
et ton coeur est comme un autel sacré où rien de souillé ne touche,
l'ayant choisi pour offrir à mon Père éternel des sacrifices ardents (1).
» Que de fois déjà Marguerite-Marie avait-elle pu lire cette parole de son bienheureux Père (2) : « Si la jalousie pouvait régner au royaume de l'amour éternel, les anges envieraient la souffrance de Dieu pour l'homme et la souffrance de l'homme pour Dieu ! » Mais elle ne s'attendait certainement pas à voir les anges venir eux-mêmes lui en prouver la réalité.
Alors, écrit-elle, me fut en même temps représenté l'aimable Coeur de mon adorable Jésus, plus brillant qu'un soleil. Il était au milieu des flammes dé son pur amour, environné de séraphins qui chantaient d'un concert admirable :
L'amour triomphe, l'amour jouit,
L'amour du saint Coeur réjouit (2). »
Ces bienheureux esprits l'invitèrent à s'unir à eux pour louer le Coeur de Jésus ; mais, retenue par le sentiment de son indignité, elle n'osa le faire. Les séraphins l'en reprirent, lui déclarant qu'ils étaient venus afin de former une association avec elle, pour rendre un continuel hommage d'amour, d'adoration et de louange à ce divin Coeur. Ils ajoutèrent que pour cela ils tiendraient ma place devant le saint Sacrement, » dit-elle, « afin que je le pusse aimer sans discontinuation par leur entremise, et que de même, ils part[i]ciperaient à mon amour, souffrant en ma personne, comme je jouirais en la leur. Et ils écri[vi]rent
en même temps cette association dans ce sacré Coeur, en lettres d'or et du caractère ineffaçable de l'amour (1). »
La vision que rapporte ainsi Soeur Marguerite-Marie dura environ deux ou trois heures. Depuis cette époque, elle ne nommait plus les anges, en les priant, que ses divins associés (2). Elle confesse avoir ressenti toute sa vie les effets de cette association avec les séraphins. Son amour envers le saint Sacrement s'en accrut encore. Combien intelligente était sa dévotion envers lui! Lorsqu'elle était devant lui, jouissant de la présence de son Bien-Aimé et de ses divines caresses, si l'obéissance lui ordonnait de sortir, elle le quittait sans résistance. Peu lui importait d'être occupée à ceci ou à cela, pourvu qu'elle fît la volonté de son Dieu et fût dans l'exercice de l'amour.
En voici une nouvelle preuve : « Je priais souvent Notre-Seigneur que mon coeur ne s'éloignât pas de sa présence. Il me dit un jour, comme je faisais la génuflexion : — Tu t'en vas donc sans coeur, car le tien ne sortira plus d'ici ? Je le remplirai d'un baume précieux, qui entretiendra.
sans cesse le feu de mon amour. La bonne volonté doit être la mèche qui ne doit jamais finir. Tout ce que tu pourras faire et souffrir avec ma grâce, tu le dois mettre dans mon Coeur, pour être converti en ce baume, qui doit être l'huile de cette lampe, afin que tout y soit consommé dans le feu du divin amour. — Je tâchai de faire ce qu'il m'enseignait.
« Ma fille, me dit-il, je prends tant de plaisir à voir ton coeur, que je me veux mettre en sa place, et te servir de coeur ; — ce qu'il fit si sensiblement qu'il ne m'était pas permis d'en douter. Depuis ce temps, sa bonté me donnait un si libre accès auprès de sa grandeur, que je ne puis l'exprimer : — As-tu perdu au change que tu as fait avec moi, me dit Notre-Seigneur, en me donnant tout ? Aie soin seulement de remplir ta lampe et j'y allumerai le feu (1). »
Depuis que Soeur Marguerite-Marie avait été guérie par miracle à la suite de la vision relative à l'Heure Sainte, la Mère de Saumaise n'avait plus aucun doute sur la vérité des communications célestes faites à sa bienheureuse fille. Mais se sentant embarrassée pour la conduire dans ces voies éminentes, la prudente supérieure crut qu'il fallait que des personnes de doctrine examinassent ce qui se passait en cette âme. En conséquence, elle la fit parler à plusieurs directeurs. Qui furent ces directeurs ? Aucun document ne nous les fait connaître. Du moins, le résultat de leurs décisions est
certain : il fut d'apporter beaucoup d'angoisses et pas du tout de lumière à la Servante de Dieu, car on la traita de visionnaire et on lui défendit de s'arrêter à ses inspirations. Monseigneur Languet a pris soin de buriner, en une phrase réaliste, l'un des oracles rendus à l'unanimité par les juges de cette innocente victime. Ils ordonnèrent « qu'on fît manger de la soupe à cette fille ! (1) »
Être humiliée et méprisée, ce n'était rien pour elle; mais ce qui demeurait hors de son pouvoir, c'était de résister à la violence douce et bénie que lui faisait son unique Amour. Il fallait qu'elle le suivît là où il voulait la conduire, indépendamment de toutes les créatures.
L'état dans lequel était alors plongée la pauvre Soeur ne saurait s'exprimer. Dans les perplexités de son esprit, elle s'adressa, comme toujours, à son divin Maître. Il la soutint, l'encouragea et l'assura qu'il lui enverrait bientôt « un sien serviteur (2) » auquel il voulait qu'elle manifestât tout ce qu'elle savait des trésors et des secrets du Sacré Coeur, parce que celui-là serait celui qui devait la rassurer dans sa voie intérieure. La prédiction ne tarda pas à s'accomplir.
Au commencement de l'année 1675, le Révérend Père de la Colombière arrivait à Paray, comme supérieur de la résidence des Pères jésuites. C'était un homme de grande distinction, un parfait religieux, que le ciel avait doué
d'un remarquable discernement des esprits.
Né le 2 février 1641, à Saint-Symphorien-d'Ozon en Dauphiné, Claude de la Colombière était entré au noviciat de la Compagnie de Jésus, à Avignon, le 25 octobre 1658. En 1660, il prononce ses premiers voeux, est ordonné prêtre en 1669 ; en 1674, il fait sa troisième probation à Lyon, et sa profession solennelle le 2 février 1675. Déjà, il a une histoire, car ce jeune jésuite, avant même d'être prêtre, a été précepteur des deux fils de Colbert et s'est trouvé mêlé au plus grand monde. Mais Dieu le destine à quelque chose de bien autrement grand, et c'est précisément pour cela, qu'à l'heure marquée par sa Providence, il le conduit à Paray.
La première fois que le Père de la Colombière vit la Communauté, Soeur Marguerite-Marie entendit ces paroles au fond d'elle-même. « Voilà celui que je t'envoie (1). » Peu après, le Père étant venu entendre les confessions de toutes les Soeurs du monastère pour les Quatre-Temps, bien que la Soeur Alacoque ne se fît nullement connaître, il la retint fort longtemps, — environ une heure et demie — et lui parla comme s'il eût compris ce qui se passait en elle. Mais, toujours humble et réservée, elle se retira, sans lui avoir fait aucune ouverture sur les visites extraordinaires qu'elle recevait de Dieu. Le Père lui ayant demandé si elle agréerait qu'il vînt une autre fois lui parler en ce lieu, elle répondit que, n'étant pas à elle, elle ferait ce que l'obéissance lui ordonnerait.
Suite !!
http://efforts.e-monsite.com/pages/preuve-l-obeissance.html