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Le couvent d'Izamal.
Le couvent franciscain de Saint Antoine de Padoue est le grand site de pélerinage du Yucatan. Un culte très populaire y est rendu à la Vierge d’Izamal, œuvre de fray Juan de Aguirre, sculpteur franciscain, apportée du Guatemala, en 1558, par Diego de Landa et placée dans un édifice (Camarín) situé derrière l’église. Elle était (et est toujours) très vénérée, opérant de nombreux miracles. Elle a été détruite par un incendie en 1829 et remplacée par la statue actuelle, qui date aussi du XVIème siècle, après la reconstruction du Camarin.
Le couvent a été construit sur une haute plateforme maya appelée Papolchach “maison des chefs”, à partir de 1553, sous l’impulsion de Diego de Landa. Les bâtiments étaient terminés en 1561. Les arcades qui entourent l'atrium, les rampes et l’arc de triomphe surmontant l’entrée ont été ajoutés au XVIIème siècle.
L’église, consacrée à la Vierge, comporte une nef unique voûtée. Elle conserve des peintures murales du XVIème siècle. Le retable baroque a été refait après l’incendie de 1829. Le vitrail de la façade et le clocher, muni de son horloge, ont été ajoutés au XIXème siècle.
Le couvent de Saint Antoine de Padoue était un centre intellectuel important au XVIème siècle, abritant une école pour les indiens ainsi qu’un séminaire et un centre de formation à la langue maya destiné aux moines venant d’Espagne.
Aujourd'hui, c'est aussi un magnifique site touristique. La beauté de la ville, toute peinte de jaune, le couvent, les places, les énormes édifices mayas qui dominent le plat paysage du Yucatan, méritent d'y passer du temps.
On distingue les trois rampes conduisant à l’atrium, de forme irrégulière, la galerie processionnelle qui en fait le tour, le cloître et le Camarin de la Vierge, édifice rectangulaire adossé à l’église, accessible par un couloir et un escalier longeant le chœur de l’église. (Catálogo de construcciones religiosas del estado de Yucatán, México, 1945)
Les miracles
Diego Lopez de Cogolludo raconte dans son Histoire du Yucatan les événements teints de légende qui ont précédé la construction du couvent :
Diego de Landa est chargé de construire le couvent d'Izamal
"Bien qu’il soit définiteur, le père Fr. Diego de Landa fut élu au cours de ce chapitre gardien du couvent d’Ytzamal, et il fut chargé de veiller à sa construction, car jusqu’à présent il n’y avait que quelques petites maisons de paille, où habitaient les religieux. Comme ce bienheureux père avait déjà résidé dans ce couvent, il put choisir un emplacement pour la fondation dès son arrivée. Afin que le démon fut chassé par la divine présence du pain eucharistique, il décida d’édifier le couvent et l’église à l’endroit même où vivaient les prêtres des idoles, et de transformer ce lieu d’abomination et d’idolâtrie en un lieu sanctifié où les ministres du Dieu véritable offriraient les divins sacrifices et la prière due à sa majesté divine. C’était une des collines, qui semblent avoir été faites ici à la main, nommée Ppappholchac (Paa Hol Chac) par les indigènes, ce qui selon le père Lizana veut dire maison des prêtres des Dieux, et c’est une façon imagée de parler car ce nom signifie en fait maison des Chefs et des éclairs, car les prêtres étaient considérés comme des seigneurs, prééminents et supérieurs à tous et ils pouvaient punir ou récompenser et étaient obéis aveuglément. Près d’une autre colline, dédiée à l’idole appelée Kinich Kakmo (Kinich Kak Moo), il fonda un village qu’il nomma San Ildefonso, et à l’autre colline appelée Humpictok (Hun Pic Tok) (du nom d’un capitaine) où se termine le village d’Ytzamal, il donna Saint Antoine de Padoue pour patron ; il rasa le temple qui s’y trouvait et où était l’idole Kabul (Kauil), puis fonda un village au nom de Sainte Marie, de façon à effacer le souvenir de toute cette idolâtrie. Ayant alors réuni ce qui était nécessaire pour la construction, il commença à édifier l’église et le couvent et y travailla beaucoup, puisque pour encourager les indiens à travailler de bon gré, le bienheureux père sortait souvent avec eux dans les environs une hache en mains et coupait le bois nécessaire à l’édifice ; à son exemple, les indiens travaillaient volontiers et prenaient courage en voyant leur père spirituel travailler à leurs côtés." (Diego López de Cogolludo, Historia de Yucatán, Livre 5, Chapitre 15)
Il rapporte une statue de la vierge du Guatemala
"Le vénérable père Fr. Diego de Landa souhaitait attirer les indiens à notre sainte foi catholique, par tous les moyens possibles, et les éloigner du culte idolâtre dans lequel ils avaient vécu, comme on l’a vu, et il voyait aussi combien le démon était vénéré dans le village d’Ytzmal, et à quoi avait travaillé ce grand homme, avec les indigènes, au début de leur conversion : fonder trois villages sur ce site, dont un consacré à Sainte Marie. Afin qu’ils s’attachent plus à la dévotion de cette grande Dame, il convînt avec eux de leur apporter une de ses statues à vénérer. La volonté des indiens coïncidait avec son souhait et ils réunirent donc la somme qui paraissait suffisante pour l’acheter. Le père Landa proposa d’aller à Guatemala (comme je l’ai dit) et comme il y avait dans cette ville un sculpteur habile qui les faisait, ils le chargèrent d’en rapporter une de là-bas, et les religieux en demandèrent aussi une autre pour le couvent de Mérida. On acheta les deux statues et des indiens les portèrent à dos d’homme, placées toutes deux dans une caisse pour qu’elles ne s’abîment pas. De nombreuses averses survinrent en chemin, mais il ne plut jamais sur la caisse des statues, ni sur les indiens qui les portaient, ni même dans un cercle de quelques pas autour de l’endroit où ils se trouvaient. Quand elles parvinrent à Mérida, les religieux choisirent pour le couvent de la ville celle qui leur parut la plus belle de visage et la plus inspirée."
La statue de la vierge refuse de quitter Izamal
"L’autre avait bien été apportée par les indiens d’Ytzmal et était destinée à leur village, mais les habitants de la ville de Valladolid prétendirent qu’elle devait être apportée au couvent que nous avons là, affirmant qu’il n’était pas juste qu’elle reste dans un village d’indiens. Les gens d’Ytzmal, où elle était déjà parvenue, résistèrent autant que possible, mais ne purent éviter qu’on ne commençât à mettre à exécution ce que voulaient les Espagnols. La Majesté divine appuya le louable souhait que les indiens avaient de conserver la statue de sa Très Sainte Mère ; et de fait, quels que soient les efforts pour la déplacer, toutes les forces humaines ne parvinrent pas à la faire sortir d’Ytzmal et on la rapporta donc au couvent du village, à la grande joie des indiens et à l’admiration des religieux. La dévotion des fidèles pour cette sainte image augmenta à la vue de ces événements merveilleux et elle s’étendit, de ces royaumes-ci à ceux d’Espagne ; et partout, sur terre comme en mer, Notre Seigneur a accompli d’innombrables miracles par son intercession, quand les fidèles se recommandaient à elle ; on aurait pu en remplir des volumes, si on y avait apporté l’attention qui se devait. La plupart ont été oubliés avec le temps, et même de ceux qui furent retenus, on ne connaît ni la date ni les circonstances précises qui les entouraient. Et je devrai donc les décrire sans trop de détails car on ne peut déjà plus les vérifier. Tels que les écrivit le père Lizana dans son livre de dévotion et tels que beaucoup d’entre eux sont peints dans le temple de cette sainte image."
Elle réalise un premier miracle
"Quand ils l’apportèrent, ils remplirent la caisse de papiers, pour qu’elle ne s’abîme pas avec les cahots du chemin. Etant donné la dévotion qui s’y attachait déjà, une dame habitant Mérida possédait quelques-uns de ces papiers et les conservait avec vénération. Un de ses serviteurs indiens tomba d’une des hautes terrasses de la maison, où on travaillait. Sa chute fut si brutale qu’on le crut mort, bien qu’avec quelques soins il reprit ses esprits mais il se retrouva avec un bras et une jambe cassés. On alla chercher quelqu’un pour le soigner mais entre-temps la bonne dame sortit les papiers et en enveloppa le bras et la jambe blessés. Quand le chirurgien arriva, cherchant le dégât qu’il devait réparer, elle lui dit que ce pour quoi on l’avait appelé, l’indien, était sain et sauf, et de fait on le trouva ainsi, attribuant la guérison à un miracle de la Vierge Très Sainte d’Ytzmal, Dieu ayant donné un pouvoir surnaturel à ces papiers qui avaient touché l’image de sa très sainte mère." (Diego López de Cogolludo, Historia de Yucatán, Livre 5, Chapitre 2)
Izamal, vu par Antonio de Ciudad Real (1588) :
"Le jeudi 5 août (1588) … le père commissaire (Fray Alonso Ponce) … vint dire la messe au village et au couvent d’Itzmal, où il y avait une grande foule qui le reçut avec force musique de flûtes et hymnes au son de l’orgue. Ensuite les habitants du village et ceux des environs accoururent avec des offrandes de poules, d’iguanes, de tortues, d’œufs, de miel, d’avocats et d’autres fruits, et aucun d’entre eux ne voulut partir avant que le père commissaire ne leur eut célébré la messe et donné sa bénédiction, deux cérémonies pourtant dont ils étaient coutumiers.
"Ce village est de moyenne importance, peuplé d’indiens mayas, à l’exception d’un quartier baptisé Sainte Marie, où vivent des mexicains venus avec les espagnols au moment de la conquête ; ces indiens-là, et ceux qui habitent par ailleurs à Valladolid, Mérida et Campeche, bien qu’ils parlent la langue mexicaine et l’enseignent à leurs enfants, connaissent aussi la langue maya ; ils se confessent et on les évangélise dans cette langue qu’ils maîtrisent souvent mieux que leur langue natale.
"Il y a dans ce village plusieurs kúes ou mules, dont un très élevé, sur lequel on monte par un escalier de pierre de cent marches ; les cinquante premiers degrés sont très grands et inégaux et débouchent sur une place pouvant contenir beaucoup de monde ; ensuite on gravit les cinquante autres, qui sont plus petits et au sommet il y a une petite place où, dit-on, seul le prêtre montait autrefois pour offrir le sacrifice aux idoles. Nos frères construisirent à cet endroit un ermitage de paille où ils disaient la messe le jour de la transfiguration, puisqu’ils l’avaient surnommé le mont Thabor ; il vint un vent si violent qu’il emporta l’ermitage et qu’il ne resta que trois croix sans plus de maison. Tout ce mul a été édifié à la main et il est à présent couvert d’arbres et transformé en colline.
"Le couvent d’Itzmal, voué à Saint Antoine, est terminé, avec son cloître haut et bas, ses dortoirs et son église, le tout fait en maçonnerie et voûté ; il est construit sur un mul et on y accède par un grand escalier. Pour le construire on a un peu abaissé le mul, après avoir auparavant abattu une construction ancienne, magnifique, en maçonnerie, avec des pierres d’une taille extraordinaire, monumentale, placées en hauteur et très bien travaillées, dans laquelle (avant que le couvent soit entrepris) les frères demeurèrent longtemps, car il y avait des pièces pour les cellules, les bureaux et l’église, le tout très spacieux. Un frère âgé et digne de foi affirmait que lorsqu’on abattit cet édifice il en sortit tant de chauve-souris qu’elles détruisirent une étable de gros bétail, où elles allèrent s’installer. Il y a un jardin au-dessous du couvent, contenant de nombreux avocatiers, goyaviers, pruniers, orangers, sapotilliers, grenadiers, bananiers, vignes et cocotiers, et trois ou quatre arbres de ceux qui donnent l’encens local, qu’on appelle dans la langue du pays pom et dans la langue mexicaine copali, une résine médicinale dont usaient les indiens pour les sacrifices à leurs idoles, comme usent les chrétiens de l’encens, à l’autel, pour le sacrifice qu’ils offrent au vrai Dieu vivant. On y cultive aussi de beaux légumes ; tout est irrigué avec l’eau que l’on tire d’une noria ; dans le village les indiens ont de nombreux puits car dans cette région l’eau est accessible. Dans l’église du couvent il y a une grande statue de Notre-Dame pour laquelle les espagnols et aussi les indiens ont beaucoup de dévotion et ils viennent nombreux dire des neuvaines devant cette statue quand ils sont malades. A côté de l’église il y a un bel abri de branchages (ramada) et une chapelle pour les indiens, dans un magnifique parvis, qui accueille quatre autres chapelles, en chacun de ses angles. Quatre religieux vivaient dans ce couvent ; le père commissaire leur rendit visite et resta avec eux jusqu’au samedi suivant. Les indiens des missions de ce couvent sont tous des indiens mayas." (Antonio de Ciudad Real, Tratado curioso y docto de las grandezas de la Nueva España, Vol II, Chap CXLV, p 332-333)
Les édifices mayas d'Izamal, vus par Fray Bernardo de Lizana (1633) :
"L'île espagnole se peupla de Carthaginois, et de ceux-ci se peupla aussi Cuba, et ensuite cette contrée (car eux seuls furent en état de construire de si somptueux édifices et de s'assujettir les nations), les communications venant à manquer avec Carthage, ces populations, avec le temps et le climat, se changèrent en des gens rudes et barbares.
Il existe, dans cette ville d'Ytzamal, cinq pyramides sacrées ou collines très élevées, entièrement édifiées de pierre sèche, avec leurs soutiens et contreforts, au moyen desquels la pierre se dresse jusqu'en haut ; mais on ne voit aucun édifice en son entier aujourd'hui, quoiqu'il y ait des traces et des vestiges de ce qu'ils étaient, dans l'un d'entre eux qui se trouve du côté du midi. (...)
On y venait de toutes parts en pélerinage ; c'est pourquoi ils avaient fait aux quatre vents quatre routes ou chaussées qui s'étendaient à toutes les extrémités du pays, allant jusqu'à la terre de Tabasco, de Guatémala et de Chiapa, de quoi l'on voit encore aujourd'hui des restes et des vestiges en beaucoup d'endroits. (...)
Il y avait une autre pyramide, nommée encore aujourd'hui par les naturels, Ppapp-Hol-Chac, qui est la même où est fondé actuellement le couvent de notre père Saint François, et ce nom signifie en castillan "Maison des Têtes et des Éclairs" : car c'était là que demeuraient les prêtres des dieux, où on les respectait et tenait pour seigneurs, d'où ils châtiaient et récompensaient, où on les servait avec l'obéissance la plus entière." (Bernardo de Lizana, Historia de Yucatán, Devocionario de Nuestra Señora de Izamal y Conquista Espiritual, chapitre 4, Valladolid, 1633, traduction : Charles Etienne Brasseur de Bourbourg, Editions Auguste Durand, Paris 1864)
Izamal en 1899 (Field Museum Library)
Le Camarin du couvent d'Izamal, avec ses portraits d'évêques du Yucatan. Le portrait de Diego de Landa est le premier à gauche, dans la rangée du bas