Apôtre du Sacré Coeur ! Son Hostie d'Immolation ! Avaler le vomis !! IL TENAIT EN SES MAINS UN TABLEAU ! SES DESSEINS ?

 

Marguerite-Marie aurait-elle pu être efficacement l'apôtre du Sacré Coeur si elle n'eût d'abord été sa victime ?

Un jour, Notre-Seigneur se présente à elle. Il tenait en chacune de ses mains un tableau. Dans l'un était figurée la vie la plus heureuse possible pour une âme religieuse : paix, consolations intérieures et extérieures, santé, estime et applaudissement des créatures. L'autre tableau était la peinture « d'une vie toute pauvre et abjecte, toujours crucifiée, par toute sorte d'humiliations, mépris et contradictions, toujours souffrante au corps et en l'esprit. » Notre-Seigneur lui dit : « Choisis, ma fille, celui qui t'agréera le plus ; je te ferai les mêmes grâces au choix de l'un comme de l'autre. » Dans son ardeur, elle se jette à ses pieds pour l'adorer, disant : « O mon Seigneur, je ne veux rien que vous et le choix que vous ferez pour moi. » Mais le Sauveur la pressait toujours de choisir. « Vous m'êtes suffisant, ô mon Dieu! faites pour moi ce qui vous glorifiera le plus, sans avoir nul égard à mes intérêts ni satisfactions. Contentez-vous et cela me suffit! —  

(106)  Alors il me dit, qu'avec Madeleine, j'avais choisi la meilleure part, qui ne me serait point ôtée, puisqu'il serait mon héritage pour toujours. Et me présentant ce tableau de crucifixion : — Voilà, me dit-il, ce que je t'ai choisi et qui m'agrée le plus,

tant pour l'accomplissement de mes desseins que pour te rendre conforme à moi.

L'autre est une vie de jouissance et non de mérite ; c'est pour l'éternité. — J'acceptai donc ce tableau de mort et de crucifixion, en baisant la main qui me le présentait; et quoique la nature en frémît, je l'embrassai de toute l'affection dont mon coeur était capable, et en le serrant sur ma poitrine, je le sentis si fortement imprimé en moi, qu'il me semblait n'être plus qu'un composé dé tout ce que j'y avais vu représenté (1). »

Une autre fois, comme elle considérait Notre-Seigneur sur l'arbre de la Croix, il la tint fortement attachée à lui, puis il lui dit : « Reçois, ma fille, la croix que je te donne et la plante dans ton cœur, l'ayant toujours devant les yeux et la portant entre tes bras. Les plus rigoureux tourments qu'elle te fera seront inconnus et continuels : urge faim sans te rassasier, une soif sans te désaltérer, une ardeur sans rafraîchissement.

Et ne pouvant comprendre ces paroles, je dis : — Mon Dieu, donnez-moi l'intelligence de ce que vous voulez que je fasse. — L'avoir dedans ton coeur, c'est qu'il faut que tout y soit crucifié ; l'avoir devant tes yeux, c'est qu'il faut être 

crucifiée en toute chose, et la porter entre tes bras, c'est l'embrasser amoureusement toutes

les fois qu'elle se- présente, comme le plus précieux gage de mon amour que je te peux donner en cette vie.

Cette faim continuelle des souffrances est pour honorer celle que j'avais de souffrir pour glorifier mon Père éternel; cette soif sera de moi et du salut des âmes, en mémoire de celle que j'ai eue, sur l'arbre de la Croix (1). »

Il y a souvent dans la vie des saints des actions qui nous semblent exagérées ; mais elles ne sont que la conséquence de l'amour, de Dieu qui les ravit hors d'eux-mêmes. Ce furent ces transports de l'amour divin qui poussèrent parfois Marguerite-Marie à de véritables excès de mortification. Deux traits surtout sont demeurés caractéristiques et dépassent étrangement tout ce qu'on peut imaginer.

En ce temps-là, l'humble Soeur était de nouveau aide à l'infirmerie. «J'étais si fort douillette, » écrit-elle, que la moindre saleté me faisait bondir le coeur. » Quoi de surprenant à cela ? dira-t-on.

Mais il faut penser que le souverain Maître a de divines sévérités pour ses élus. Or, il reprit si fortement sa généreuse disciple de ce mouvement instinctif de répulsion, que, pour se punir elle-même et sans consulter la raison, elle absorba spontanément le vomissement d'une malade qu'elle soignait.

En cette circonstance, elle obéissait à l'impétuosité de son amour pour Notre-Seigneur; alors tout lui devenait expédient. « Si j'avais mille corps, mille amours, mille vies, je les immolerais pour vous être asservie », disait-elle à son Bien-Aimé. Il ne fut pas longtemps à lui prouver combien il avait béni la violence qu'elle s'était faite. La suite du récit ne laisse aucun doute à ce sujet. « Et lors, je trouvai tant de délices dans cette action, que j'aurais voulu en rencontrer tous les jours de pareilles, pour apprendre à me vaincre et n'avoir que Dieu pour témoin. Mais sa bonté, à qui seule j'étais redevable de m'avoir donné la force de me surmonter, ne laissa pas de me témoigner le plaisir qu'i[l] y avait pris.

Car la nuit ensuite, si je ne me trompe, il me tint bien environ deux ou trois heures la bouche

collée sur la plaie de son sacré Coeur.

Et il me serait bien difficile de pouvoir exprimer ce que je sentis alors, ni les effets que cette grâce produis[it] dans mon âme et dans mon coeur. Mais cela suffit pour faire connaître les grandes bontés et miséricordes de mon Dieu sur un sujet si misérable (1). »

Elle eut bientôt une autre occasion de satisfaire, plus incroyablement encore, son besoin d'apprendre à se vaincre, n'ayant que Dieu pour témoin.

Une fois qu'elle s'était encore laissée aller à quelque soulèvement de coeur en servant une malade, Notre-Seigneur renouvela sa réprimande intérieure; mais avec une telle autorité que, n'importe 

quoi paraissant plus supportable à Soeur Marguerite-Marie que d'avoir mécontenté son Dieu, afin de réparer sa faute, elle se livra sur-le-champ à un acte si répugnant pour la nature, que personne au monde n'aurait pu le conseiller, ni le permettre. Notre-Seigneur même dut arrêter son héroïque servante; puis il lui dit : « Tu es bien folle de faire cela! — O mon Seigneur, » reprit-elle, je le fais pour vous plaire et pour gagner votre divin Coeur, et j'espère que vous ne me le refuserez pas. Mais vous, mon Seigneur, que n'avez-vous pas fait pour vous gagner celui des hommes, et cependant ils vous le refusent et vous en chassent bien souvent! — Il est vrai, ma fille, que mon amour m'a fait tout sacrifier pour eux, sans qu'ils me rendent du retour; mais je veux que [tu] supplées par les mérites de mon sacré Coeur à leur ingratitude. Je te le veux donner, mon Coeur ; mais auparavant, il faut que tu te rendes sa victime d'immolation, pour [que], avec son entremise, tu détournes les châtiments que la divine justice de mon Père, armé de colère, veut exercer sur une Communauté religieuse [pour la] reprendre et corriger en son juste courroux. — Et me la faisant voir, à la même heure, avec les défauts particuliers qui l'avaient irrité, et tout ce qu'il me fallait souffrir pour apaiser sa juste colère, ce fut alors que tout en frémit en moi; et n'eus pas le courage de me sacrifier (1). »

Il n'y a pas à le cacher, ni à l'atténuer — c'est un fait historique, qui, d'ailleurs, tournera plus tard à la gloire du Sacré Coeur — cette Communauté pour laquelle Dieu exigeait que Marguerite-Marie s'offrit en victime, c'était la Visitation Sainte-Marie de Paray-le-Monial. Rien que régulière et « très observante, » de graves défauts s'y étaient glissés — : entre autres, on n'y pratiquait plus la charité et l'humilité au degré voulu pour les âmes religieuses. Et voilà pourquoi le rôle de celle que Notre-Seigneur choisissait pour apaiser sa colère devenait doublement délicat. Un combat indicible s'engagea alors entre cette âme et son Maître. Il veut qu'elle s'immole à sa justice : « Je dis que, n'étant pas à moi, je ne pouvais le faire sans le consentement de l'obéissance. Mais la crainte que j'avais qu'on ne me le fît faire, me fit négliger de le dire ; mais il me poursuivait sans cesse et ne me donnait point de repos. Je me fondais en larmes et me voyant enfin contrainte de le dire à ma supérieure, laquelle, voyant ma peine, me dit de me sacrifier à tout ce qu'il désirait de moi, sans réserve. Mais, mon Dieu, ce fut alors que ma peine se redoubla encore plus fort, car je n'avais point le courage de dire oui et je résistais toujours (1). »

 

Que se passait-il alors au plus intime de l'être de notre Sainte ? En dernière analyse, cela est resté son secret. Cependant; elle soulève suffisamment le voile de douleur qui l'enveloppe en cette rencontre, pour qu'il nous soit permis d'assister à une scène d'autant plus émouvante qu'elle est plus mystérieuse.

Cette humble religieuse a été prédestinée pour reproduire en elle l'image de son Jésus souffrant. Comme lui, elle aura sa nuit d'agonie..... comme lui, elle sera, pour ainsi dire, traînée de tribunal en tribunal. Le Seigneur permettra tout, parce que, à ses yeux divins, rien ne vaut l'immolation d'une âme, en union avec l'adorable victime de Gethsémani et du Calvaire.

On était arrivé au samedi 20 novembre, veille de la Présentation. « Cette divine justice me parut armée d'une manière si terrible que j'en demeurai tout hors de moi ; et ne pouvant me défendre, il me fut dit comme à saint Paul : — Il t'est bien dur de regimber contre les traits de ma justice ! Mais puisque tu m'as tant fait résistance pour éviter les humiliations qu'il te conviendra souffrir par ce sacrifice, je té les donnerai au double ; car je ne te demandais qu'un sacrifice secret, et maintenant je le veux public, et d'une , manière et dans un temps hors de tout raisonnement humain et accompagné de circonstances si humiliantes, qu'elles te seront un sujet de confusion pour le reste [de] ta vie, et dans toi-même et devant les créatures, pour te faire comprendre (112) ce que c'est que de résister à Dieu. — Hélas ! je le compris bien en effet, car jamais je ne me vis en tel état : en voici quelque petite chose, mais non pas, tout (1). »

 

Donc,  Soeur Marguerite-Marie l'avoue ; elle supprime beaucoup de choses... notamment ce que Notre-Seigneur lui dit touchant la manière dont il voulait qu'elle se sacrifiât. Mais, d'après certaines expressions, d'après les règles et les coutumes de la Visitation, il n'est pas difficile de la conjecturer. Néanmoins, il est nécessaire de noter que la Sainte ne s'explique pas là-dessus en toutes lettres. Reprenons l'Autobiographie.

Après donc l'oraison du soir, je ne pus sortir avec les autres (2), et je demeurai au choeur, jusqu'au dernier coup du souper (3), dans des pleurs et gémissements continuels. je m'en allai faire collation, car c'était la veille de la Présentation, et m'étant traînée à vive force à la Communauté (4), je m'y trouvai si fortement pressée de faire ce sacrifice tout haut, en la manière que Dieu me faisait connaître le vouloir de moi, que je fus contrainte de sortir, pour aller trouver ma supérieure qui était malade pour lors. Mais je confesse que j'étais tellement hors de moi, que je me voyais comme une personne qui aurait pieds et mains liés, et à qui il ne resterait plus

 

rien de libre en l'intérieur ni pour l'extérieur, que les larmes que je versais en abondance, pensant qu'elles étaient la seule expression de ce que je souffrais : car je me voyais comme la plus criminelle du monde, traînée à force de cordes au lieu de mon supplice. Je voyais cette sainteté de Dieu, armé des traits de sa juste colère, prêt à les lancer pour m'abîmer, si me semblait, dans cette gueule béante de l'enfer, que je voyais ouvert, prêt à m'engloutir. Je me sentais brûlée d'un feu dévorant qui me pénétrait jusqu'à la moelle des os, et tout mon corps dans un tremblement étrange; et ne pouvais dire autre chose sinon : — Mon [Dieu], ayez pitié de moi selon la grandeur de vos miséricordes ! — Et tout le reste du temps, je gémissais sous le poids de ma douleur, sans pouvoir trouver le moyen de me rendre vers nia supérieure que sur les huit heures, qu'une Soeur m'ayant trouvée, me condui[sit] vers elle. Et elle fut bien surprise de me voir en cette disposition, laquelle je ne pouvais pour lors exprimer; mais je croyais, pour surcroît de peine, que l'on la connaissait en me voyant, ce qui n'était pas. Ma supérieure, qui savait qu'il n'y avait que la seule obéissance qui avait tout pouvoir sur cet esprit qui me tenait en cet état, m'ordonna de lui dire ma peine. Et aussitôt je lui dis le sacrifice que Dieu voulait que je lui fisse de tout mon être, en présence de la Communauté, et le sujet pour quoi il me le demandait; lequel je n'exprimerai point, crainte de blesser la sainte charité et en même (114) temps le Coeur de Jésus-Christ, dans lequel cette chère vertu prend sa naissance ; c'est pourquoi il ne veut point qu'on l'intéresse tant soit peu, sous quel prétexte que ce puisse être. Enfin, ayant fait et dit ce que mon Souverain désirait de moi, on en parlait et jugeait diversement (1). »

C'est cette dernière phrase qui, dans sa concision, est le noeud de toute la question. Car, selon toute vraisemblance, elle signifie que Soeur Marguerite-Marie étant rentrée dans la chambre où la Communauté se trouvait réunie, avant de se séparer à huit heures demi-quart, et, en l'absence de la supérieure malade, l'assistante ayant posé la question d'usage : « Vos Charités ont-elles quelque chose à dire? » à ce moment, quelque chose d'extraordinaire eut lieu. On vit sans doute la jeune et timide Soeur Alacoque tomber à genoux, et déclarer à haute voix qu'elle était chargée, de par la volonté divine, de réparer les fautes de toutes ses Soeurs.....

Au sens humain, un acte semblable, dans sa forme présente et ses conséquences futures, ne peut se mesurer..... surtout quand on pense que celle qui vient de parler est celle-là même, dont on se demandait, bien peu d'années auparavant, s'il était sage de l'admettre au monastère, et quand on songe qu'elle s'adresse alors à une Communauté composée de Soeurs issues, en grand nombre, de familles très illustres selon le monde (2).

Elles ne purent apprendre autre chose de ce qui s'était passé, sinon que la Soeur avait dit que Dieu était fort irrité contre la maison; mais ce récit ne fit qu'augmenter leur indignation, » remarque Mgr Languet (1) Et, il dépeint cette indignation sous de fortes couleurs. Plus modestes sont celles qu'emploie la plume de notre Sainte, quand elle écrit seulement : « Je laisse toutes ces circonstances à la miséricorde de mon Dieu. Et je puis assurer, 

si me semble, que je n'avais jamais tant souffert, noix pas même quand j'aurais pu rassembler toutes les souffrances que j'avais eues jusqu'alors et toutes celles que j'ai eues depuis, et que toutes ensemble m'auraient été continuelles jusqu'à la mort, cela ne me semblerait pas comparable à ce que j'endurai cette nuit, de laquelle « Notre-Seigneur voulut gratifier sa chétive esclave, pour honorer la nuit douloureuse de sa Passion, quoique ce n'en fût qu'un petit échantillon. L'on me trairait de lieu en lieu avec des confusions effroyables (1). »

Et plus loin : « L'on crut que j'étais possédée ou obsédée, et l'on me jetait force eau bénite dessus, . avec des signes de croix, avec d'autres prières pour chasser le malin esprit. Mais Celui dont je me sentais possédée, bien loin de s'enfuir, me serrait tant plus fort à lui, en me disant : — J'aime l'eau bénite, et je chéris si fort la croix que je ne peux m'empêcher de m'unir étroitement à ceux qui la portent comme moi et pour l'amour de moi. — Ces paroles rallumèrent tellement en mon âme le désir de souffrir, que tout ce que je souffrais ne me semblait qu'une petite goutte d'eau, qui allumait plutôt la soif insatiable que je sentais, que de la désaltérer ; quoiqu'il me semble pouvoir dire qu'il n'y avait aucune partie de mon être qui n'eût sa souffrance particulière, tant l'esprit que le corps ; et cela sans compassion ni consolation, car le 

diable me livrait de furieux assauts, et mille fois j'aurais succombé, si je n'avais senti une

puissance extraordinaire qui me soutenait. et combattait pour moi, parmi tout ce que je viens de dire (1). »

Cette nuit s'étant donc passée dans les tourments que Dieu connaît, et sans repos, jusqu'au lendemain environ la sainte messe, alors Soeur Marguerite-Marie entendit ces paroles : « Enfin la paix est faite et ma sainteté de justice est satisfaite par le sacrifice que tu m'as fait (2). » Continuant à parler à sa douce victime, Notre-Seigneur lui dit : « A mon imitation, tu agiras et souffriras en silence, sans autre intérêt que la gloire de Dieu dans l'établissement du règne de mon sacré Coeur dans celui des hommes, auxquels je le veux manifester par ton moyen. — Mon Souverain [m'a] donné ces saints enseignements après l'avoir reçu; mais il ne me sortit point de mon état souffrant (3)...

Enfin, ma supérieure, ne sachant plus que faire de moi, me fit communier pour demander à Notre-Seigneur, par obéissance, de me remettre en ma première disposition. M'étant donc présentée à lui comme son hostie d'immolation, il me dit : — Oui, ma fille, je viens à toi comme 

souverain Sacrificateur, pour te donner une nouvelle vigueur, afin de t'immoler à de nouveaux  supplices. — Ce qu'il fit, et je trouvai tout tellement changé, que je me sentais comme un esclave à qui l'on vient de redonner la liberté.

« Mais cela ne dura guère, car l'on commença à me dire que c'était le diable qui était l'auteur de tout ce

qui se passait en moi

et qu'il me perdrait, si je n'y prenais garde, par ses ruses et illusions (1). »

Bien loin d'aller à la réprobation, elle allait à la plus héroïque sainteté, acceptant sans restriction aucune, de ne « plus paraître que comme un objet de contradiction, un égoût de rebut, de mépris et d'humiliation, lesquels je voyais avec plaisir venir fondre sur moi de toute part, et, » poursuit-elle, « sans recevoir aucune consolation du ciel ni de la terre. Il semblait que tout conspirait à m'anéantir. J'étais continuellement interrogée, et le peu de réponse que l'on tirait de moi, comme par force, ne laissait pas de servir d'instrument pour augmenter mon supplice. Je ne pouvais ni manger, ni parler, ni dormir; et tout mon repos et occupation n'était que de demeurer prosternée devant mon Dieu, dont la souveraine grandeur me tenait toute anéantie dans le plus profond abîme de mon néant, toujours pleurant et gémissant, pour lui demander miséricorde et détourner les traits de sa juste colère (2)… »

Mais comment ne pas rapporter à cette époque ce qu'elle raconte d'une lutte de charité, dans laquelle son ardeur remporta le prix ? L'allusion est plus que transparente. « M'ayant une fois montré les châtiments qu'il voulait exercer sur quelques âmes, je me jetai à ses pieds sacrés, en lui disant : — O mon Sauveur! déchargez plutôt sur moi toute votre colère, et m'effacez du livre de vie, plutôt que de perdre ces âmes, qui vous ont coûté si cher! — Et il me répondit : — Mais elles ne t'aiment pas et ne cesseront de t'affliger. — Il n'importe, mon Dieu, pourvu qu'elles vous aiment, je ne veux cesser de vous prier de leur pardonner. — Laisse-moi faire ; je ne les peux souffrir davantage ! — Et l'embrassant encore plus fortement : — Non, mon Seigneur, je ne vous quitterai point que vous ne leur ayez pardonné. — Et il me disait : — Je le veux bien, si tu veux répondre pour eux. — Oui, mon Dieu; mais je ne vous paierai toujours qu'avec vos propres biens, qui sont les trésors de votre sacré Cœur. — C'est de quoi il se tint content (1). »

Ne semble-t-il pas, d'ailleurs, que Notre-Seigneur ait pris soin d'abriter lui-même la réputation de la Communauté de Paray, lorsqu'il disait à Marguerite-Marie : « Je te fais bien de l'honneur, ma chère fille, de me servir d'instruments a si nobles pour te crucifier. Mon Père éternel m'a 

livré entre les mains cruelles des impitoyables bourreaux pour me crucifier : et moi, je me [sers] pour cet effet à ton égard des personnes qui me [sont] dévouées et consacrées, et au pouvoir desquelles je t'ai livrée, et pour le salut desquelles je veux que tu m'offres tout ce qu'elles te feront souffrir (1). » Ainsi, ces religieuses qui ont tant fait souffrir leur angélique compagne étaient agréables à Dieu, et ce n'est que par une secrète ordonnance de sa sagesse, visant la sanctification de l'humble favorite de son Coeur, qu'elles en sont venues à la traiter de la sorte. « Tout coopère au bien de ceux qui aiment Dieu, » assure saint Paule.

Achevons de dire les sentiments de notre Sainte :  « Je me trouvais tellement engloutie et absorbée dans ma souffrance, que je ne me sentais plus d'esprit ni de vie que pour voir et sentir ce qui se passait de douloureux à mon égard. Mais tout cela ne me causait pas le moindre mouvement d'inquiétude ni de chagrin (3). »

Il y avait pourtant bien de quoi tomber malade. Nous le savons déjà, elle ne pouvait plus rien manger. On s'en aperçut et on lui en fit des réprimandes. Sa supérieure et son confesseur lui ordonnèrent de prendre tout ce qu'on lui servirait à 

table. Quoique cette prescription lui parût au-dessus de ses forces, elle l'exécuta. Il en résulta des vomissements si fréquents et un tel ébranlement général dans sa santé, qu'on finit par la dégager de cette obéissance, lui donnant celle de ne prendre que ce qu'elle pourrait. Sa mortification n'y perdit rien et se trahit dans cette phrase : « Quelque effort que je me sois fait pour manger indifféremment ce qui m'était présenté, je ne pouvais me défendre de prendre ce que je croyais le moindre, comme le plus conforme à ma pauvreté et mon néant, qui me représentaient continuellement que le pain et l'eau m'étant suffisants, tout le reste était superflu. « Le manger, je l'avoue, m'a causé de rudes tourments depuis ce temps-là, allant au réfectoire comme à un lieu de supplice, auquel le péché m'avait condamnée. »

La Mère de Saumaise n'avait plus que quelques mois à gouverner la Communauté de Paray, lorsque les événements que nous venons de raconter s'y passèrent. A l'Ascension de 1678, elle déposait la charge de supérieure et retournait à Dijon, son monastère de profession, pour être élue à Moulins l'année suivante. En s'éloignant de Paray, elle emportait le germe béni de la dévotion au Sacré Coeur, afin de le répandre plus tard au loin, quand le moment marqué par Dieu serait venu. Elle gardait aussi la conviction que la professe du 6 novembre 1672 était une âme de grâce, selon la 

parole du Père de la Colombière ; et lorsqu'en 1690, la Mère de Saumaise sera priée de dire elle-même quelque chose de ce qu'elle en savait, on pourra lire, dans son Mémoire, ce témoignage non équivoque : « Dans l'espace de six ans que j'ai connu notre Soeur Marguerite-Marie Alacoque, je puis assurer que je n'ai pas remarqué qu'elle ait relâché d'un instant à la résolution qu'elle prit, se consacrant à Dieu par la profession religieuse, de le faire régner en elle avant tout, au-dessus de tout, et en tout ; ne s'étant jamais accordé aucun plaisir, soit pour l'esprit, soit pour le corps. Et cette fidélité lui attira de la divine Bonté des grâces et faveurs très particulières, qui la portaient à un désir très grand des croix, humiliations et souffrances. L'on pourrait dire, sans exagérer, qu'il n'y a point d'ambitieux d'honneurs et de plaisirs plus ardent qu'elle ne l'était de ces choses, dont elle faisait sa joie, bien qu'elle y fût très sensible (1). »

Qui remplacerait la Mère de Saumaise, auprès de l'humble fille investie d'une si grande mission ? La -Providence y pourvut, et, dans l'admirable économie de ses desseins, elle donnait au monastère de Paray, en 1678, une supérieure que l'on peut bien appeler hors ligne, en la personne de la Mère Péronne-Rosalie Greyfié, professe du premier monastère d'Annecy. Encore toute jeune enfant, elle avait été bénie par sainte Chantal. Entrée au premier monastère d'Annecy, à douze ans, comme 

Soeur du petit habit, » elle passe au noviciat dès que son âge le lui permet, et ne compte pas encore dix-sept ans lorsqu'elle fait la sainte profession, le 10 août 1655. Elle puise la véritable sève de l'Institut à la racine même, et se l'assimile si parfaitement, qu'on la juge capable d'être élue supérieure à Thonon, en 1670, ayant à peine trente-deux ans. Six années d'un premier gouvernement avaient encore développé les qualités maîtresses de cette remarquable religieuse. Dieu, qui voulait s'en servir pour une couvre qu'elle ignorait elle-même, s'était hâté de tout faire mûrir en elle. En 1678, si quelqu'un était préparé pour prendre la direction d'une âme telle que celle de la Soeur Marguerite-Marie, pour en sonder à fond les états surnaturels et leur imposer l'épreuve du creuset, c'était la Mère Greyfié.

Douée d'un esprit supérieur et d'un jugement exceptionnel, du premier coup d'oeil elle comprit la situation et arrêta son plan. Le voici : « Lorsque j'entrai au service de votre maison, » écrira-t-elle au monastère de Paray, après la mort de la Soeur Alacoque, bien que votre Communauté fût très bonne et remplie de vertus et de piété, je trouvai néanmoins les sentiments fort partagés au sujet de cette véritable épouse du Sauveur crucifié, et, me trouvant sans expérience et sans aide pour la conduire dans des voies si extraordinaires, je me fiai un peu, et même beaucoup, aux assurances qu'elle me donna, que le Seigneur me ferait agir selon sa sainte volonté à son égard ; de sorte que je suivis sans crainte mon penchant naturel, qui cherche la (124) paix et la tranquillité. Et afin d'y tenir chacun, je n'ai presque jamais fait mine de faire attention à ce qui se passait d'extraordinaire en cette âme. Je ne la produisais auprès de personne, ni du dedans, là du dehors. S'il arrivait qu'elle fît quelque chose qui déplût, encore que c'eût été par mon ordre ou avec mon congé, je souffrais qu'on la désapprouvât et je l'en blâmais moi-même, quand c'était en sa présence (1). »

C'en fut assez pour que Sœur Marguerite-Marie reconnût que sa nouvelle supérieure agissait d'après l'esprit de Dieu. Dès lors, elle lui voua une reconnaissance et une affection qui ne feront que grandir tous les jours, et qui, par là même, demeureront à tout jamais pures du soupçon d'être inspirées par des sentiments humains.

Consumée du désir de faire connaître et aimer le Coeur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, sa bienheureuse disciple ne tarda pas à s'ouvrir là-dessus à celle qui, désormais, lui tenait la place de Dieu. « Je me souviens que la première fois que j'eus le bonheur d'entretenir cette chère Soeur, » écrit la Mère Greyfié, elle me parut avoir une ardeur véhémente de trouver les moyens de faire connaître, adorer et aimer ce Coeur très adorable, à tous les habitants de l'univers, si elle eût pu. D'autre part, la connaissance et le bas sentiment qu'elle avait pour elle-même et qui croissait tous les jours, la repoussait bien loin de cette entreprise, 

croyant de bonne foi qu'il suffisait qu'elle s'en mêlât pour tout gâter et inspirer du rebut de cette dévotion, qu'elle avait tant à coeur, et pour l'établissement de laquelle elle aurait voulu donner mille vies, si elle les avait eues (1). »

            En attendant, elle se laissait immoler entièrement par l'obéissance. La Mère Greyfié était femme à frapper de grands coups. Peu après son arrivée à Paray, elle retrancha l'heure de veille du jeudi au vendredi à la Servante de Dieu. Celle-ci obéit; mais, rapporte la Mère Greyfié, souvent pendant cet intervalle d'interruption, elle venait à moi toute craintive, m'exposer qu'il lui semblait que Notre-Seigneur me savait mauvais gré de ce retranchement, et qu'elle craignait qu'il ne se satisfît là-dessus de quelque manière qui me serait fâcheuse et sensible. Je n'en démordis pas encore; mais voyant ma Soeur Quarré mourir assez promptement d'un flux de sang, dont personne dans le monastère ne fut malade qu'elle, et quelques autres circonstances qui accompagnèrent la perte d'un si bon sujet, je rendis vite l'heure d'oraison à votre précieuse défunte, la pensée me poursuivant fortement que c'était là la punition dont elle m'avait menacée de la, part de Notre-Seigneur (1). »

Sa retraite de l'année 1678 laissa de profonds souvenirs de grâce dans l'âme de Sœur Marguerite

Marie. « Voici ce que mon Souverain me fit entendre..... Comme je me plaignais de ce qu'il me donnait ses consolations avec trop d'abondance, ne me sentant capable de les soutenir, il me dit que c'était pour me fortifier, parce que j'avais à souffrir. — Bois et mange, me dit-il, à la table de mes délices, pour te rafraîchir, afin que tu chemines courageusement, à la force de ce pain; car tu as encore un long, pénible et rigoureux chemin à faire, et dans lequel tu auras souvent besoin de prendre haleine et repos dans mon sacré Cœur, qui pour cela te sera toujours ouvert, tandis que tu marcheras dans ses voies. Je veux que ton coeur me soit un asile où je me retirerai pour y prendre mon plaisir, lorsque les pécheurs me persécuteront et rejetteront des leurs......

« Ne t'oublie jamais de ton néant et que tu es la victime de mon Coeur, qui doit toujours être disposée d'être immolée pour la charité..... Comme je te l'ai promis, tu posséderas les trésors de mon Cœur en échange, et je te permets d'en disposer à ton gré, en faveur des sujets disposés. N'en sois pas chiche car ils sont infinis.....

« J'ai encore une rude et pesante croix à mettre sur tes faibles épaules ; mais je suis assez puissant pour la soutenir. Ne crains rien et me laisse faire tout ce que je voudrai de toi et en toi (1). »

Ce fut vers cette époque que la Sainte reçut un gage nouveau de l'amour de son doux Maître, Un jour qu'elle était dans une grande souffrance,

 

 

Suite !! 

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